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Villa de Diomède, Pompéi : la fabrique d’une villa romaine

Si elle est un des monuments les plus célèbres de Pompéi, la villa de Diomède n’avait pourtant jamais encore fait l’objet d’une étude archéologique d’envergure, à la mesure de ses caractéristiques exceptionnelles. Depuis 2012, elle fait l'objet d'un vaste programme de recherche interdisciplinaire sous la direction d'Hélène Dessales, archéologue du laboratoire AOrOc à l'École normale supérieure - PSL

La Villa de Diomède, un contexte singulier

Longtemps oubliée, la Villa de Diomède est restée ensevelie sous plusieurs mètres de lapilli, éjectés par l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère.

Pourtant, avant la catastrophe, elle était une des résidences les plus en vue de Pompéi, aux mains d’un grand propriétaire dont l’identité nous reste inconnue.

Elle doit son nom à la tombe de Marcus Arrius Diomedes, qui lui fait face, de l’autre côté de la rue. En position suburbaine, elle est aménagée non loin de la porte nord de la ville, la Porte d’Herculanum, dans une zone qui associait, au moment de l’éruption, d’autre villas, des installations commerciales et une nécropole.

La Villa de Diomède combine ainsi les atouts d’une demeure « de ville », parmi les plus grandes du site, où logeait et recevait une riche famille, et tous les attraits d’une villa de plaisance : articulée sur quatre niveaux, elle se déploie sur plus de 3700 m2, avec une vue panoramique sur le golfe de Naples, face à l’île de Capri.

 

Pompéi- villa Diomède
Vue aérienne générale par drone de la zone de la Villa de Diomède, depuis le sud (la villa se trouve à gauche, au centre la rue des tombeaux et à droite la tombe de Marcus Arrius Diomedes). © Villa Diomedes Project. Photographie Philippe Barthélémy, Yves Ubelmann – Iconem (2013), montage Alban-Brice Pimpaud (2019).

Découverte et mémoire

Outre ce dispositif scénographique original, qui a su pleinement tirer parti des contraintes d’un terrain escarpé, la Villa de Diomède présente une autre particularité : il s’agit d’un des tous premiers bâtiments excavés à Pompéi, entre les années 1771 et 1775, la découverte du site remontant à 1748.

Le responsable des fouilles, Francesco La Vega, un ingénieur militaire, a produit des rapports d’une extrême précision, assortis de relevés, l’ensemble constituant une documentation exceptionnelle, et ce dès le début de l’exploration de Pompéi, dans les années 1770-1780.

Fresque villa Diomède
L’entrée des thermes de la Villa de Diomède, en 3D : état de 2013 et projection des relevés exécutés en 1780. © Villa Diomedes Project. Infographie 3D : Alban-Brice Pimpaud (archeo3d.net).

L’excellente préservation de la Villa de Diomède et son voisinage immédiat avec l’entrée nord de Pompéi, où se garaient alors les carrosses des rares privilégiés autorisés à fréquenter le site, en font alors un des monuments les plus emblématiques du Grand Tour en Italie, abondamment décrit et reproduit par artistes et architectes, à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle.

Pompéi Villa Diomède
Projection dans la maquette 3D de la villa d’une vue en perspective de Philippe Benoist (années 1950, gravure), montrant des travaux de restauration en cours sur le mur du jardin. © Villa Diomedes Project. Infographie 3D : Alban-Brice Pimpaud (archeo3d.net).

Autre singularité : la présence d’une vingtaine de victimes de l’éruption dans les espaces souterrains de la villa. L’empreinte des corps dans la couche éruptive, encore perceptible, suscite l’émotion des visiteurs de l’époque, et celle du buste d’une jeune femme inspire notamment Théophile Gautier, qui la réincarne dans le personnage principal de sa nouvelle Arria Marcella, Souvenir de Pompéi (1852). Avec le sentiment de pénétrer dans l’intimité de l’Antiquité, les voyageurs s’initient à l’organisation architecturale, au décor et à la culture matérielle d’un habitat aristocratique dans son ensemble. Devenue un lieu de mémoire incontournable dans le courant du XIXe siècle, la Villa de Diomède fige l’image d’une vie quotidienne tragiquement interrompue.

Modéliser l’évolution d’un monument, de l’Antiquité à nos jours

Paradoxalement, alors que la Villa de Diomède est un des édifices les plus largement représentés de Pompéi depuis la fin du XVIIIe siècle, avec un corpus de plus de 500 témoignages graphiques et photographiques réunis, elle n’a jamais fait l’objet d’une étude archéologique approfondie et reste en partie inédite. Comment, en effet, restituer l’évolution d’un tel monument, conjuguant la fabrique matérielle d’une villa romaine et sa fabrique imaginaire contemporaine ? Engagé en 2012, un programme pluridisciplinaire, intitulé « Villa de Diomède » a eu pour objectif d’y répondre. Il s’agit de modéliser les chantiers de construction qui ont rythmé la vie de la villa jusqu’à l’éruption du Vésuve, ainsi que les restaurations qui l’ont transformée, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours. Pour ce faire, différentes compétences se sont associées, en fédérant plusieurs équipes de recherche appartenant au périmètre de PSL : archéologie du bâti, informatique, imagerie scientifique, géophysique et ingéniérie structurelle.

Le point de départ a été la mise en place d’une maquette numérique de la villa dans son état actuel, produite à partir de 25 000 photographies environ.

Pompéi Villa Diomède
Les méthodes de modélisation et de traitement des données sur le monument © Villa Diomedes Project. Réalisation Alban-Brice Pimpaud (archeo3d.net).

Une première collaboration entre le Centre de recherche commun Inria –Microsoft Research et la société Iconem a permis d’élaborer le modèle photogrammétrique en 2012. Un financement PEPS CNRS – PSL, puis le programme structurant PSL « Pompéi 3D », avec le concours du Parc Archéologique de Pompéi, ont permis d’approfondir l’étude et d’affiner le modèle, par les soins de la société Archeo3d.

Les dessins historiques des architectes du XIXe siècle et les relevés archéologiques produits dans le cadre de ce projet y ont ensuite été projetés, comme autant de calques. Ainsi, le modèle 3D fonctionne comme une véritable machine à remonter le temps, qui restitue l’évolution de la villa sur la longue durée et en propose la visite virtuelle au moment de sa découverte, avec des décors alors parfaitement conservés, aujourd’hui très érodés.

Pompéi Villa Diomède
Maquette numérique de la Villa de Diomède, secteur côté rue: état de 2013 et projection des relevés exécutés dans les années 1780-1800. © Villa Diomedes Project. Infographie 3D : Alban-Brice Pimpaud (archeo3d.net).

Trois campagnes de terrain (2014, 2015 et 2016) ont permis de caractériser les architectures de la villa, par la stratigraphie des élévations, l’analyse des décors en place et la cartographie des techniques et des phases de construction. Au total, cinq étapes d’édification ont été distinguées pour la période romaine, du début du IIe siècle av. J.-C. à 79 ap. J.-C.

Découvrir le documentaire de Claire Duguet sur la campagne pluridisciplinaire de 2015.

L’impact des restaurations modernes, ainsi que les traces des voyageurs du Grand Tour dans la villa, qui ont laissé des milliers de graffitis sur les murs, ont également été intégrés à l’étude.

Enfin, les objets découverts lors des fouilles du XVIIIe siècle, actuellement conservés au Musée archéologique de Naples, ont été recontextualisés dans les différents espaces de la villa. Leur inventaire révèle un aspect insoupçonné de la vie quotidienne au moment de l’éruption : la villa se trouvait alors en pleine reconstruction, ayant été fortement affectée par un tremblement de terre ravageur, daté de 63 ap. J.-C., suivi d’autres secousses peu avant l’éruption finale.

Pompéi Villa Diomède
Restitution de la dernière phase de construction du péristyle, dans les années 70 ap. J.-C., sur la base des archives historiques et des données archéologiques. Réalisation Alban-Brice Pimpaud (archeo3d.net)..

Une visite virtuelle de la Villa de Diomède, de 79 ap. J.-C. à nos jours

Ce bref film (1.25) présente le modèle photogrammétrique de la villa et illustre la méthode de projection des archives historiques dans le modèle (dessins de la fin du XVIIIe et XIXe siècle), ainsi que l’insertion des relevés archéologiques (données de 2014, 2015 et 2016). Il s’achève par une reconstitution tridimensionnelle de l’état du péristyle de la villa en 79 ap. J.-C. 

Réalisation Alban-Brice Pimpaud (archeo3d.net), avec une musique de Simon Oriot.

Un laboratoire d’analyse et de formation

Le programme Villa de Diomède a permis de renforcer une plate-forme technologique sur l’imagerie 3D au sein de PSL et de développer des méthodes pluridisciplinaires innovantes pour l’analyse du patrimoine archéologique. Les résultats obtenus ont été valorisés dans le cadre du programme de la communauté européenne « Grande Progetto Pompei Pompéi – Piano della conoscenza » qui, piloté par le Parc Archéologique de Pompéi, a pour objectif de dresser un nouveau relevé et un plan de conservation de l’ensemble du site. Le projet sur la Villa de Diomède a associé plusieurs opérations de formation dans diverses disciplines : deux stages d’initiation à l’archéologie de la construction romaine, en 2014 et 2015, dans le cadre du Master PISA (ENS-PSL), un stage de relevé architectural, en 2013, en partenariat avec l’Università degli Studi Federico II ; des stages en ingéniérie structurelle et en prospections géophysiques, développés par l’Università degli Studi di Padova » et une thèse de doctorat en ingénierie structurelle dans le cadre d’une collaboration entre l’ENS et l’Università degli Studi Federico II. Une publication collective est en cours, avec une parution prévue en 2019.

En savoir plus sur le projet, son équipe et ses partenaires et découvrir le documentaire de Claire Duguet sur la mission de 2015.

Programme réalisé dans le cadre d’un PEPS conjoint CNRS-PSL (2012), d’un programme structurant PSL « Pompéi 3D » (2014-2015) et d’un programme collaboratif de l’Agence Nationale de la Recherche « RECAP » (ANR-14-CE31-0005, 2015-2019), avec le soutien de l’Institut Universitaire de France (chaire junior H. Dessales), du labex TransferS (projet Atlas des techniques de la construction romaine), du CNRS ((Soutien à la mobilité internationale), du Ministère des Affaires Étrangères et du Développement Industriel (Mission archéologique « Italie du sud »). 

Glossaire

Stratigraphie : en archéologie, selon des principes empruntés à la géologie, distinction des différentes couches (ou unités stratigraphiques) qui composent un site de fouilles ou un édifice. La caractérisation de leur contenu et de leur succession permet d’établir des séquences chronologiques.

Grand Tour : pratique d’un long voyage, effectué en Europe et/ou en Asie, par de jeunes nobles, amateurs d’art et artistes, afin de parfaire notamment leur connaissance des antiquités. L’Italie constitue une destination privilégiée et Naples, avec la découverte des cités Vésuviennes, en devient un point central à partir de la fin du XVIIIe siècle.

Photogrammétrie : technique de mesure, et par extension, de numérisation tridimensionnelle d’une scène (environnement, bâtiment ou objet), qui se fonde sur la mise en correspondance de points remarquables présents sur au moins deux clichés photographiques. Le développement de la photographie numérique, l’augmentation des puissances de calcul et la constante amélioration des algorithmes de traitement d’image ont permis d’automatiser la recherche d’une multitude de points