Conférences-spectacles : la science au théâtre
Comment le théâtre de marionnettes peut-il aider les chercheurs à réfléchir à leurs pratiques de recherche, et rendre ces réflexions accessibles au grand public ? Leila Perié, chercheuse à l'Institut Curie (membre de l'Université PSL), a invité les chercheurs de PSL à participer à des dialogues pluridisciplinaires sous la forme de conférences-spectacles.
Croiser les disciplines sur scène
« Qui Manipule Qui ? », cycle de conférences créé par la compagnie La Nef - Manufacture d'utopie et mis en scène par Jean-Louis Heckel, met en scène une fiction d'émission de radio enregistrée en public. Les conférences sont menées en direct, sur une scène de théâtre, par une marionnette-journaliste, Rosie Palmer, manipulée par Pascale Blaison. Depuis 2012, Claire Ribrault et Livio Riboli-Sasco de l'Atelier des Jours à Venir, coopérative de recherche et d'enseignement, co-conçoivent ces spectacles, qui portaient jusqu'en 2017 exclusivement sur les sciences du vivant.
En 2018, Leïla Perié, chercheuse à l'Institut Curie (membre de PSL) s'est emparée de ce format original pour, en collaboration avec la NEF et l’Atelier des Jours à Venir, inviter des chercheurs de PSL à partager expériences et réflexions sur la richesse des démarches transversales croisant sciences du vivant et sciences humaines. Cette initiative, lauréate de l'appel à projets PSL-Explore de 2016, a donné lieu à une série de trois conférences-spectacles jouées à Pantin, enregistrées en vue de leur diffusion sur PSL-Explore.
Partager les questions des chercheurs
Tout travail de recherche soulève des questions quant aux applications qui peuvent en découler, mais aussi quant aux représentations qu'il contribue à construire, et aux valeurs, aux imaginaires et aux craintes qui lui sont associés.
Les chercheurs ont peu d'opportunités de partager leurs interrogations sur les enjeux sociétaux, politiques ou éthiques de leurs recherches : il s'agit bien de pouvoir s'interroger, de manière ouverte et sereine, et non d'affirmer ou de défendre une position.
Pourtant, ces interrogations sont essentielles pour développer des attitudes de recherche responsables, pour se positionner par rapport aux enjeux posés par les différents sujets de recherche scientifique, en croisant les perspectives, au sein de la communauté de recherche et au-delà. La recherche n'est pas dissociable de ses enjeux sociétaux, culturels et politiques.
Quelles sont les conditions de production et financement de la recherche aujourd'hui ? Qui sont les chercheurs, comment sont-ils formés, et quelles les contraintes rencontrent-ils ? Comment les méthodes et les résultats de la recherche sont-ils diffusés ? Comment les chercheurs produisent-ils une connaissance ? Quelles sont les conséquences des méthodologies, cadres et collaborateurs de ces productions, sur les résultats et sur leur diffusion ?
Les conférences-spectacles visent à interroger les pratiques de recherche, ainsi que les valeurs et les normes de la communauté scientifique afin de favoriser une démarche de recherche réflexive, responsable et attentionnée.
Une médiatrice singulière
Le choix d'une marionnette-journaliste permet d'adopter un ton naïf, décalé, qui éloigne des modalités de la communication scientifique entre pairs et permet aux chercheurs de raconter ce qui guide leurs choix, de détailler les multiples reformulations des questions de recherche, d'évoquer les modes qui traversent une communauté, mais aussi leurs conditions de travail, leurs hésitations et leurs joies. Rosie Palmer a un penchant littéraire : elle aime jouer avec les mots, et à travers les mots, faire des associations inattendues, révéler des implicites, ouvrir le champ à de nouveaux points de vue.
Pour autant, elle prend parfois ses invités au dépourvu, dans le but de créer un rapport authentique avec les chercheurs, et une relation de confiance avec le public. Ponctuées par les phrases improvisées d'une contrebassiste-chanteuse, Anne Shreshta, ses questions amènent le public à s'interroger et proposent une vision accessible de la science, loin des vocabulaires complexes.
Dans le but d'inclure le public plus avant, les conférences-spectacles font référence à l'actualité et sont suivies d'un temps d'échange entre les scientifiques et les spectateurs, pour approfondir les sujets évoqués.
Des métaphores à l'édition du génome
Les conférences-spectacles portent sur des thématiques aussi diverses que les addictions, la mort, la notion de « nature » ou les « gènes égoïstes », sur lesquelles réfléchissent ensemble deux scientifiques et le public. Le cycle organisé avec les chercheurs de PSL inclut trois spectacles.
« Quand arts et sciences se croisent pour explorer les métaphores dans les pratiques de recherche ».
Cette première session prend la forme d'une interview croisée de Leïla Perié (immunologiste) et Goni Shifron (artiste diplômée de l'ENSAD, membre associé de PSL) et s'inscrit dans le cadre du groupe de recherche l'Institut métaphorique, soutenu par la Fondation Daniel et Nina Carasso, qui fait se rencontrer chercheurs et artistes, autour d'une réflexion et de pratiques communes sur les mots des sciences et des arts.
Quel rôle peuvent jouer les métaphores dans le processus de recherche en art ou en science ? Qu'impliquent la "souche" de "cellule-souche" ou encore la représentation du système immunitaire comme une armée en guerre contre les virus ? Comment les mots contribuent-ils à forger, et peut-être limiter, nos représentations des concepts scientifiques, et les imaginaires des chercheurs ? Chercher de nouvelles métaphores permettrait-il d'ouvrir des possibles en matière d'invention de concepts ?
« Comment les technologies de pointe transforment les pratiques de recherches en sciences du vivant »
La seconde conférence-spectacle propose une interview croisée de Sara Aguiton (sociologue des sciences et techniques à l’EHESS, membre associé de PSL) et Clément Nizak (biologiste à l’ESPCI, membre de PSL). Clément Nizak développe des procédés de micro-fluidique pour étudier, à l'échelle individuelle, des cellules impliquées dans la production d'anticorps).
Comment la production massive de données influe-t-elle sur les pratiques de recherche, dans un aller-retour entre contenu scientifique et infrastructures de production des outils ? Quels nouveaux rapports avec l'industrie voyons-nous émerger, par exemple dans la figure du chercheur-entrepreneur ? Comment les scientifiques et les centres de diffusion de la culture scientifique peuvent-ils s'approprier le sujet des technologies de pointe sans perdre de vue les questions de recherche ?
« L’édition du génome et le système CRISPR/Cas9 »
La troisième session réunit David Bikard (biologiste, Institut Pasteur, partenaire de PSL) et Michel Morange (professeur de biologie et d'histoire des sciences, ENS, membre de PSL). Ce dernier a récemment publié une analyse du champ lexical de l'édition dans la recherche sur le génome dans l’histoire de la biologie. David Bikard met quant à lui en oeuvre des méthodes de recherche basées sur le système CRISPR/Cas9.
Pourquoi le terme d'"édition" du génome est-il signifiant ? Que révèle-t-il de l'approche du vivant en sciences ? En quoi le système CRIPSR/Cas9, qui permet de "couper" un gène, a-t-il bouleversé l'approche des biologistes, en recherche fondamentale et dans ses applications technologiques ? Quelle est la part de nature et d'artificialité dans les biotechnologies ? Quelles questions éthiques se posent pour les chercheurs et le grand public au sujet des recherches sur le génome ?
Pour toutes les images, crédits : La Nef - Manufacture d'utopies / L'Atelier des Jours à Venir, tous droits réservés.