Focus

Coup de pression sur les baromorphes

Mêler physique des matériaux et design, en s’inspirant de phénomènes naturels, c’est le pari relevé par l’équipe Mécawet du laboratoire PMMH (Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes) à l’ESPCI Paris - PSL. Leurs travaux sont à l’origine d’une invention notable : les baromorphes, des matériaux souples dont on peut faire changer la forme à l’aide d’un ingénieux système de canaux gonflables.

L’équipe Mécawet vient de présenter ses travaux à la biennale de design de Londres, du 1er au 25 juin 2023, dans le cadre du réseau Auto-Morph, avec le soutien de l’Université PSL.

Benoît Roman, directeur de recherche CNRS au sein de cette équipe nous explique les mécanismes à l’œuvre derrière ces singuliers matériaux.

(Photos : Stand de l'équipe du PMMH  à la Biennale du design de Londres (juin 2023). Crédit : PMMH - Automorph Network)

Les baromorphes, mais qu’est-ce donc ?

Depuis plusieurs années, avec mes collègues José Bico et Etienne Reyssat, nous nous intéressons aux matériaux à changement de forme. En particulier ceux que nous avons appelés les baromorphes. Ce sont des matériaux en silicone, un matériau assez souple. En nous inspirant de phénomènes naturels de morphogenèse, nous avons trouvé un moyen de faire en sorte que ces matériaux puissent changer de forme. En effet, ils contiennent des canaux microscopiques, dans lesquels on peut faire circuler de l’air. En choisissant bien la forme et la position de ces canaux, et en les soumettant à une pressurisation, le matériau n’a d’autre choix que de changer de forme, passant par exemple d’un disque à une sorte de chips, ou de cône.

D’où vient cette idée de faire gonfler des canaux ?

En fait, pour changer la forme des matériaux, cela revient souvent à partir d’une structure plane pour obtenir une forme avec des courbes. Par exemple, si on essaie de courber une feuille de papier pour en faire une sphère, on se rend compte que c’est impossible ! Pour y parvenir, il faudrait que la feuille s’étire à certains endroits, c’est une propriété bien connue de géométrie des surfaces. Nos canaux utilisent cela à leur avantage. Leur dilatation sous pression permet de modifier les distances entre les points de nos surfaces de façon à correspondre à la surface visée, et le baromorphe va donc naturellement en prendre la forme. L’autre avantage, c’est aussi que cette déformation est réversible lorsqu’on purge l’air dans les canaux.

Vous utilisez des imprimantes 3D pour vos travaux…

Oui, et c’est un point essentiel de nos recherches. D’habitude, on se sert des imprimantes pour façonner des pièces, ou des supports pour les expériences, mais pas forcément pour créer nos nouveaux matériaux eux-mêmes ! Grâce à l’essor et à la démocratisation des imprimantes 3D, nous sommes parvenus à créer nos moules directement, à programmer et à tester une multitude de forme. A terme, nous espérons même réussir à modifier des imprimantes 3D pour pouvoir nous passer de moules et imprimer directement nos structures, canaux inclus.

Votre équipe crée de nombreux liens entre la physique, l’architecture ou le design, que cela vous apporte-t-il dans vos recherches ?

Au laboratoire, nous nous concentrons sur les questions de recherches que posent ces matériaux à changement de forme, sans forcément nous préoccuper du passage à l’objet. Discuter par exemple avec des designers ou des architectes nous fait prendre conscience de l’importance des formes que l’on choisit. Cette forme, son esthétique, c’est aussi le premier vecteur qui permet de parler de nos travaux et c’est un aspect à ne pas négliger.

D’autre part, en discutant avec des communautés différentes naissent des problématiques différentes. Par exemple pour l’exposition londonienne, nous avons dû créer des structures beaucoup plus grandes que celles que l’on fait habituellement au laboratoire. Qui dit grande taille, dit nouvelles contraintes, comme celles liées à la pesanteur qui s’exerce sur l’ensemble.

D’autres réflexions émanent de ces discussions, par exemple sur le choix des matériaux et leur durabilité.

Vous participez au réseau Auto-Morph, de quoi s’agit-il ?

AutoMorph, c’est un réseau international interdisciplinaire de chercheurs en physique, mécanique, mais aussi en design et architecture qui s’intéressent à ces matériaux qui changent de forme (Max Planck Institute, EPFL, Hebrew University, Technion, ICD Stuttgart, Carnegie Mellon, Sant’Anna). Il peut s’agir de nos baromorphes, mais aussi, par exemple, de graines capables de s’auto-planter toutes seules dans le sol grâce aux changements d’humidité lors de la journée. Nous organisons ateliers et conférences interdisciplinaires, où nous essayons au maximum d’impliquer des étudiants issus de formations très diverses : des écoles d’arts et de design, ou scientifiques, etc.

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