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Thomas Whittemore : un byzantiniste à Paris

La Bibliothèque byzantine du Collège de France conserve le fonds d’archives de Thomas Whittemore. Professeur d’anglais, archéologue amateur, philanthrope, défenseur du patrimoine, il est notamment connu pour le rôle qu’il a joué dans la conservation des mosaïques de Sainte-Sophie et de Saint-Sauveur d’Istanbul. Rona Razon, archiviste au Collège de France, nous présente l’homme et ses principales réalisations à travers des extraits choisis de ses archives.

Qui est Thomas Whittemore ?

Thomas Whittemore (1871-1950) est connu des étudiants et chercheurs européens et américains comme le fondateur de l’Institut byzantin à l'origine implanté à Boston (États-Unis), ainsi que de la « bibliothèque parisienne de l’Institut byzantin », qui fait aujourd’hui partie de la Bibliothèque byzantine du Collège de France.

Les archives de Thomas Whittemore sont actuellement conservées dans plusieurs institutions, en France et aux États-Unis. À la Bibliothèque byzantine de Paris, le fonds Thomas Whittemore couvre les activités de Whittemore de 1890 à 1950 : missions en Égypte, en Russie, en Grèce et en Turquie (années 1910 et 1920), lancement de la bibliothèque parisienne et développement des études byzantines en France et aux États-Unis (années 1920 - 1950).

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Whittemore (au centre, en costume croisé) et Lord Kinross (à gauche) à Sainte-Sophie, Istanbul, dans les années 1940. Fonds Thomas Whittemore-Institut byzantin, Sous-groupe 01-série 08, Bibliothèque byzantine, Collège de France.
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Une liste d’ouvrages sur l’architecture et la construction : pratique professionnelle, ornement et décors, installations sanitaires, sondage, etc. B. T. Batsford, 1905. Fonds Thomas Whittemore - Institut byzantin, Sous-groupe 02-Series 05, Bibliothèque byzantine, Collège de France.

Des débuts prometteurs

Thomas Whittemore est né le 2 janvier 1871 à Cambridgeport, Massachussetts, et mort le 8 juin 1950 à Washington DC. Au début des années 1890, il est professeur de littérature, théâtre et composition anglaise à l’université Tufts.

Dès le début des années 1900, soit dix ans avant ses premiers chantiers de fouille, Whittemore montre de l’intérêt pour l’archéologie et la conservation du patrimoine. Entre les pages des revues qu'il a lues à Tufts, on trouve en effet intercalés un rapport annuel de l’Egypt Exploration Society, un article sur les bibliothèques ou encore une liste d’ouvrages sur l’architecture. Archéologie, conservation et bibliothèques : les domaines auxquels il va consacrer sa vie.

Campagnes archéologiques

Dans les années 1910, Whittemore s’oriente vers l’archéologie et l’art de l’Égypte ancienne, ce qui l’amène à quitter son poste à l’université Tufts.

Whittemore devient alors le délégué américain de l’Egypt Exploration Society, au sein de laquelle son rôle consiste à informer les membres américains des progrès des fouilles en Égypte, afin de susciter des dons.

Un article du Boston Evening Transcript, datant de 1921 et consacré au Tell el-Armana d’Égypte (cité construite par le pharaon Akhénaton), évoque l’objectif de la campagne de fouilles du site, et le rôle de Thomas Whittemore dans ce projet.

Il informe ses lecteurs de ce que Whittemore « n’a pas pu se rendre sur place avant la fin de la campagne parce qu’il était retenu à Constantinople par son travail auprès des réfugiés russes », ce qui va constituer l’étape suivante de sa carrière.

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« Boston accueille des objets témoignant de la première atteinte à la paix mondiale il y a 3000 ans », Boston Evening Transcript, August 20, 1921. Fonds Thomas Whittemore - Institut byzantin, Sous groupe 01-Series 08, Bibliothèque byzantine, Collège de France.
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Lettre de Michael Ivanovich Rostovtzeff à Thomas Whittemore, le 30 décembre 1920. Fonds Thomas Whittemore - Institut byzantin, Sous-groupe 02-Series 03, Bibliothèque byzantine, Collège de France.

Entre la fin des années 1910 et les années 1930, Whittemore consacre en outre beaucoup de temps à la scolarisation et l'aide d'urgence des jeunes réfugiés russes chassés par la révolution d’octobre 1917.

L’étude de sa correspondance donne une idée de l’analyse que font Whittemore et ses destinataires de la situation en Russie et dans son ancien empire dans les années 1910 et 1920. Ainsi, dans un courrier de Michael Ivanovich Rostovtzeff, ancien Professeur à l’université du Wisconsin, celui-ci demande à Whittemore si une aide américaine est envisageable. « N'est-il pas permis d’espérer que le généreux enthousiasme des Américains va désormais venir au secours des victimes russes de la terrible guerre qui fait aujourd’hui rage en Russie ? »

Défense du patrimoine byzantin

Si le parcours de Whittemore est fluctuant, ses expériences et ses centres d’intérêts convergent pourtant lorsqu’il devient directeur de l’Institut byzantin et de sa bibliothèque parisienne.

Vers 1929, Whittemore envisage la création d’un organisme d’étude et de conservation de l’art et de l’architecture byzantins. Malgré la crise économique qui frappe la majorité des pays occidentaux à cette époque, Whittemore est certain que le moment est bien choisi pour révéler au monde les chefs-d’œuvre byzantins et développer la recherche sur le sujet.

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Copie de « Athos-Iviron-5B69 » provenant de la Photothèque Gabriel Millet, Collection chrétienne et byzantine de l’École Pratique des Hautes Études.
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Nicholas Kluge (à droite) et Thomas Whittemore (à gauche) à Sainte-Sophie, Istanbul, 1944. Fonds Thomas Whittemore - Institut byzantin, Sous-groupe 01-Series 08, Bibliothèque byzantine, Collège de France.

En 1930, Whittemore négocie le droit de dégager les mosaïques de Sainte-Sophie d'Istanbul (Turquie), alors qu’il travaille à son premier chantier officiel, sur le site des monastères de Saint-Paul et de Saint-Antoine, en Égypte, près de la Mer rouge.

Les années suivantes, l’équipe met donc au jour les mosaïques de Sainte-Sophie, révélant le génie des artistes byzantins. Dans un article intitulé « Description des mosaïques trouvées à Sainte-Sophie », paru dans le New York Herald Tribune du 18 février 1936, Whittemore « insiste sur le fait que son travail n’est pas une opération de restauration mais de conservation, car il n’a utilisé aucun matériau nouveau et [que les mosaïques ont été traitées] comme l’aurait été un manuscrit ancien ou un fragment de tapisserie ».

À Sainte-Sophie, Whittemore s’entoure de spécialistes d’horizons culturels et disciplinaires très variés. Le restaurateur et dessinateur Nicolai Karlovich Kluge, en est un bon exemple : il travaille en étroite collaboration avec Whittemore et l’équipe de la bibliothèque parisienne à la description et aux rapports de chantier.

La recherche en études byzantines   

À la même époque, Whittemore crée un centre de recherche consacré aux études byzantines – où seront accueillis des byzantinistes de renom comme Gabriel Millet ou André Grabar, et qui existe encore aujourd’hui.

Selon Boris Ermoloff, bibliothécaire et directeur de la bibliothèque byzantine de 1929 à 1967, l’objectif était de mettre en place un centre de recherche international en études byzantines qui soit aussi un relai de l’influence américaine en Europe.

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Vue intérieure de la bibliothèque de l’Institut byzantin à Paris, rue de Lille, sans date. Fonds Thomas Whittemore - Institut byzantin, Sous-groupe 01-Series 10, Bibliothèque byzantine, Collège de France.
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Notice sur Thomas Whittemore par Gabriel Millet. Fonds Gabriel Millet, 1845-1953, 51 CDF 10-8, Archives, Collège de France

La bibliothèque parisienne a pour but, depuis sa création, d’accompagner le travail des chercheurs, personnels et étudiants byzantinistes, depuis Thomas Whittemore jusqu’à nos contemporains. Au cours de plus de quatre-vingt-ans d’existence, elle a accumulé les sources primaires et secondaires sur la culture, l’art et l’architecture byzantins, parmi lesquelles le fonds Gabriel Millet.

Au sein de Paris Sciences & Lettres (PSL), ces fonds sont complémentaires de la Photothèque Gabriel Millet  de l’École Pratique des Hautes Études. En explorant les liens entre ces archives, les chercheurs pourraient étudier la collaboration entre Whittemore et Millet, déjà un historien de l’art byzantin renommé au moment où la bibliothèque s’efforçait de gagner un statut international de collection de référence.

Poursuivant la mission que lui a fixée le fondateur dont elle porte l’héritage, la bibliothèque byzantine continue d’accueillir jeunes chercheurs, byzantinistes reconnus et spécialistes du monde entier, leur donnant accès aux archives de Thomas Whittemore ainsi qu’aux parutions les plus récentes.

Retrouvez la bibliothèque byzantine du Collège de France et la Collection chrétienne et byzantine (dite Photothèque Gabriel Millet) sur PSL-Explore.

Ce focus a été conçu et écrit par Rona Razon, archiviste-chargée de mission sur le Fonds Thomas Whittemore de la Bibliothèque byzantine du Collège de France. Retrouvez-le en anglais sur le blog des bibliothèques et archives du Collège de France.

En savoir plus

Le site de la Bibliothèque byzantine du Collège de France

Le Fonds Thomas Whittemore - Institut byzantin (ca. 1890s-1950s), Collège de France - Bibliothèque byzantine, sur Salamandre, la bibliothèque numérique du Collège de France

« Bridging Dispersed Archival Collections : Fonds Thomas Whittemore – Institut byzantin », intervention de Rona Razon, 23ème Congrès international d’études byzantines à Belgrade, Serbie, août 2016.

Et les archives conservées au Dumbarton Oaks Research Library and Collection (Washington, D.C) :