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Ménard de la Groye, géologue et explorateur

Lucile Peycéré, archiviste au Collège de France, présente les archives d’un géologue méconnu, François Jean-Baptiste Ménard de la Groye (1775-1827). Avant d'être l'adjoint de Georges Cuvier à la chaire d'Histoire naturelle (1818-1827), il a parcouru l’Europe napoléonienne et en a rapporté des récits scientifiques encore inédits.

Un savant d’origine sarthoise

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Un exemple de carnet de voyage utilisé par Ménard de la Groye (cote 69 CDF 19-a).

Le fonds Ménard de la Groye a été donné au Collège de France par le bibliophile Julien Chappée (1862-1957), qui a confié le reste des archives familiales aux Archives Départementales de la Sarthe.  Le fonds comprend, outre les importants carnets de voyages du scientifique, des documents administratifs, des écrits biographiques, de la correspondance, des notes d’étudiant, ainsi que de nombreux manuscrits ayant servi à ses publications et la quasi-totalité des cours qu’il a donnés au Collège de France.

Ménard de la Groye est le fils d’un éminent juriste manceau qui fut aussi homme politique sous le Directoire. Le jeune homme découvre très tôt sa véritable vocation : les sciences naturelles.

Étudiant à Paris entre 1799 et 1807, il fréquente le Museum d’Histoire naturelle, l’école Polytechnique, ou encore l’École des mines. Il débute sa carrière en tant que collaborateur de Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) et d’Alexandre Brogniart (1770-1847) qu'il assiste dans leur étude des fossiles du bassin parisien ; il décrit alors un nouveau genre de coquillage qu’il nomme panopea.

Malgré de multiples sollicitations, il peine à obtenir une place dans l’enseignement ou dans l’administration centrale.

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Extrait d’un carnet de voyage du « Voyage dans les montagnes du milieu de la France … », 1807 (cote : 69 CDF 19-b). Hormis dans ses premiers carnets, Ménard de la Groye dessine très peu pour illustrer ses récits.

Les préparatifs d’un long voyage

« Vous n’ignorez surement pas que je suis parti de nouveau pour une grande tournée ayant encore pour unique but l’étude de l’histoire naturelle dans le grand livre », écrit Ménard de la Groye à l’un de ses maîtres, Barthélémy Faujas de St- Fond (1741-1819), en novembre 1811. Le long périple qu'il évoque durera près de trois ans, le conduisant en Rhénanie, en Suisse, puis enfin en Italie.

À l’époque, les récits de voyages scientifiques sont à la mode. Ménard de la Groye y voit une manière d’acquérir la notoriété qui lui fait défaut : il va écrire un livre qui sera, selon ses mots, « le fondement de [s]a réputation ».

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« Carte approximative des puys les plus remarquables qui appartiennent à la série des monts Dôme », s.d. (cote : 69 CDF 19-a).

Le naturaliste est déjà un voyageur expérimenté : quelques années plus tôt, il a parcouru la France méridionale, traversant notamment l’Auvergne, les Pyrénées, les Alpes et la Provence.

Ce sont les ressources financières qui lui manquent : pour financer son projet, il passe un contrat avec un riche géologue américain d’origine écossaise, Williams James Maclure (1763-1840), qui prépare sa propre expédition. Avant de partir, Ménard de la Groye n’oublie pas d’obtenir des autorités impériales un passeport en bonne et due forme.

Contraintes et avanies

Le début du voyage se révèle difficile. Ménard de la Groye se plaint du rythme de travail imposé par Maclure. De plus, si le premier préfère la marche à pied avec son « sac à dos », le second, « toujours prêt à partir », ne se déplace qu’en calèche.

À Genève, la rupture entre les deux hommes est consommée : Ménard de la Groye part seul effectuer un tour de Suisse. Soulagé, il peut désormais se concentrer sur l’enrichissement de sa propre collection minéralogique.

Il doit néanmoins faire face aux contraintes météorologiques : le froid, la pluie l’obligent parfois à rester confiné dans les auberges, à rédiger son journal de voyage. En février 1812, il débute enfin son tour de l’Italie.

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Laissez-passer délivré par les autorités du royaume de Naples, 1813 (cote : 69 CDF 16-i).

Des ennuis surgissent en chemin : « ce pays est rempli de brigands » confie-t-il, « j’ai vu moi-même une nombreuse troupe qui heureusement ne m’a pas aperçu ». Les voyages scientifiques ne sont pas sans dangers…

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Lettre d’Antonio Vassali-Eandi, physicien italien (1761-1825), adressée à Ménard de la Groye, en date du 7 septembre 1809. (cote : 69 CDF 13-p)

Échanges épistolaires

Pendant son absence, François Jean-Baptiste entretient une intense correspondance avec sa famille, ses amis et plusieurs de ses pairs.

De Paris, il reçoit des lettres de son ami Delaunay de Beaurepaire et de Faujas de Saint Fond. Il se lie d’amitié avec Scipion Breislak (1748-1826), auteur des Voyages physiques et géologiques en Campanie (1801), à qui il voue une profonde admiration.

Il bénéficie aussi de la protection de Giovanni Ferri dit aussi Ferri de St Constant, envoyé en 1810 par Napoléon pour organiser l’académie impériale de Rome, et de qui il obtient des lettres de recommandations.

Impressions de voyage

Le contenu des carnets de Ménard de la Groye nous révèle un observateur minutieux de la nature. S’il nous livre quelques descriptions de l’architecture romaine, pour l’essentiel, il préfère se concentrer sur la faune, la flore, l’économie et l’agriculture locale.

Il s’attache également à dresser un état des connaissances du pays en minéralogie et en géologie, présentant les théories en vogue et leurs défenseurs.

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Trajet simplifié de Ménard de la Groye lors de son voyage en Italie entre 1812 et 1814 (Collège de France)

Le mont Vésuve

Quand Ménard de la Groye atteint Naples, il tombe sous le charme de cette ville, qualifiée de « paradis terrestre ». Il effectue plusieurs excursions au mont Vésuve et dans ses environs entre avril et octobre 1813.

« Aucune montagne n’a été autant visitée et étudiée que celle-ci », rappelle le géologue à propos du Vésuve, qui suscite un fort intérêt parmi les savants. Pour en gravir la cime, il faut compter plusieurs heures à cheval, puis terminer à pied. La fin de la montée est « fort désagréable » pour le Français car ses souliers se remplissent de cendres et de résidus volcaniques.

En janvier 1814, il apprend que le Vésuve manifeste une grande activité et retourne à Naples : il découvre le « spectacle sublime » de la formation d’un nouveau cratère. La description des phénomènes volcaniques constitue le point d’orgue de son voyage.

Rattrapé par les évènements politiques, il rentre à Paris en novembre 1814. S’il est favorable au retour des Bourbons en France, il se plaint du sort réservé à l’Italie, « ce pays, que la nature a fait […] pour être un et indépendant […], va demeurer toujours divisé »

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Quelques cartes des hôtels dans lesquels Ménard de la Groye a séjourné durant son voyage en Italie, s.d. (cote : 69 CDF 18 g).

Retombées scientifiques

Le bilan de ce long voyage se révèle très positif bien que différent des attentes de Ménard de la Groye. Son projet de livre finit par être abandonné, faute de temps. De même, il avoue à sa mère en 1817 que « la majeure partie des objets […] rapportés de l’Italie sont encore en caisse […]. »

Néanmoins, il rédige à son retour quatre articles majeurs publiés dans le Journal de Physique sur des phénomènes qu’il a observés. D'abord, un « Mémoire géognostique sur Beaulieu, dans le département des Bouches-du-Rhône […] », dans lequel il attribue à des volcans sous-marins la formation de vastes terrains recouverts de basaltes, appelés Trapps. Il écrit ensuite une « Nouvelle description des feux naturels de Pietra-mala et de Barigazzo […] » ou « fontaines ardentes » .

Ses deux autres articles sont lus avec succès lors de séances de l’Académie des sciences entre 1815 et 1817. Il s’agit d’une part des « Observations avec réflexions sur l’état et les phénomènes du Vésuve pendant une partie des années 1813 et 1814 » et d’autre part d’une « Description de l’Etat des salces  du Modénois dans l’été de l’année 1814 ».

C’est grâce à ces écrits sur les volcans que François Jean-Baptiste attire sur lui l’attention de Georges Cuvier (1769-1832)  qui, dès la mort à l’été 1817 de son adjoint de La Métherie (1743-1817), pense à lui pour le suppléer au Collège de France. Il débute officiellement ses leçons au printemps 1818, obtenant, finalement, l’emploi qu’il espérait tant à la chaire d’Histoire naturelle.

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Estampages de « petits écus du Piémont » réalisés par Ménard de la Groye, s.d. (cote : 69 CDF 9-m).

C’en est fini des grands voyages, même si le savant projette de revenir en Italie puis de parcourir l’Angleterre. A l’arrivée de la belle saison, il ne peut qu'exprimer ses regrets mêlés de nostalgie : « Comme il ferait bon courir les chemins, les champs et les rochers, par un temps si favorable… ».

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’inventaire en ligne du fonds Ménard de la Groye sur Salamandre, la bibliothèque numérique patrimoniale du Collège de France.

Notes

  1. « Mémoire sur un nouveau genre de coquille bivalve-équivalve de la famille des solenoides… », 1807. L’exemplaire de l’université de Turin qui a été numérisé comporte une mention manuscrite de Ménard de la Groye (https://books.google.fr/books?id=pl8OyY0oZ8UC).
  2. Sa vaste collection minéralogique se trouve aujourd’hui au Museum d’Histoire naturelle (http://www.mnhn.fr/fr/collections/ensembles-collections/paleontologie/mo...).
  3. Ce sont en fait des sources de gaz inflammables jaillissant naturellement du sol.
  4. Les salses sont aussi dénommés « volcans de boue »

Ce focus a été rédigé par Lucile Peycéré, archiviste au Collège de France.