
Fondations et patrimoine
Réformes universitaires
L'histoire culturelle de l'Europe est marquée par l'émergence de nouveaux centres pour les échanges, le rayonnement et l'innovation en matière de culture. Sous l'impulsion décisive des frères Humboldt, Berlin se dote en quelques décennies d'une université et de deux musées publics de réputation internationale.
L'Université de Berlin
Dès 1807, Frédéric-Guillaume III lance un train de mesures radicales destinées à moderniser la Prusse. Nommé le 28 février 1809 chef du département des Cultes et de l’Instruction publique au ministère de l’Intérieur, Wilhelm von Humboldt est responsable de la refonte complète du système de l’éducation nationale.
S'inspirant de système d’enseignement de Platon, de ses propres théories de l’État, ainsi que des écrits de pédagogues réformateurs tels que le Suisse Johann Heinrich Pestalozzi, Wilhelm esquisse un système général d’éducation qui prévoit une scolarité plus démocratique et conceptualise l’école élémentaire. Le curriculum des Gymnasien nouvellement créés est centré sur les langues anciennes et prône une culture humaniste. L'école prépare désormais à l’enseignement universitaire dont le modèle sera dispensé à l’université la plus moderne de l’époque, celle de Berlin, qui ouvre ses portes en 1810.

Julius Schoppe, vers 1810, Lithographie, 49,2 x 32,7 cm, Berlin, Staatliche Museen, Kupferstichkabinett, © BPK, Berlin / Dist. RMN-Grand Palais / Jörg P. Anders
Esprit profondément libéral, Wilhelm von Humboldt défend la liberté de la recherche et son lien à l’enseignement. À une époque où les universités étaient souvent réduites à être des écoles professionnelles, l’idéal humboldtienne de l’université se base sur la vocation de former des esprits libres, de promouvoir la recherche pure et désintéressée.
Wilhelm von Humboldt instaure une administration largement autonome et engage une liste impressionnante de professeurs, parmi lesquels on peut citer Friedrich Schleiermacher et Johann Gottlieb Fichte, qui influencent tous les deux le concept universitaire de Humboldt, ainsi qu'August Boeckh, Albert Thaer et Carl Ritter.
L’université de Berlin, qui prit le nom d’Université Humboldt en 1949 en hommage aux deux frères, devient vite l’une des plus fameuses universités d’Allemagne. Ce modèle université traversa les siècles et exerça une influence considérable sur le monde entier.
Le Cosmos
Ce n’est qu’en 1827, à l’âge de 57 ans, qu’Alexandre von Humboldt retourne s’installer définitivement dans sa ville natale. Depuis la fondation de l’Université de Berlin en 1809 à l’initiative de son frère Wilhelm, la capitale prussienne est dotée d’une institution scientifique solide et progressiste.
Par sa présence et son rayonnement européen, Alexander von Humboldt enrichit considérablement la vie intellectuelle berlinoise.
Il réunit notamment 458 savants allemands et européens au théâtre de Berlin en 1828 dans le cadre de l’assemblée des naturalistes et médecins allemands. Mais ce sont surtout ses cours sur le Cosmos (Kosmosvorlesungen), tenus à seize reprises dans l’Académie de chant (Sing-Akademie) et accessibles à un large public à partir de 1827, qui marquent toute une génération d’artistes et d’intellectuels allemands.

Alexander von Humboldt, Eduard Buschman (scribe), 1844, Encre sur papier, Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Allemand 232, © Bibliothèque nationale de France
C’est à Paris, autour de 1820, qu’Alexander von Humboldt commence à écrire en français son « Essai sur la physique du monde » Il a presque 80 ans quand il publie finalement en 1845, et dorénavant en allemand, le premier tome du Cosmos.
Cette œuvre se présente comme une synthèse des connaissances empiriques du monde, partant de ses propres observations datant de la fin du siècle précédent et mises à jour par les avancées scientifiques du milieu du XIXe. L’ouvrage se veut aussi synthèse des idées sur la nature et de l’histoire de sa perception, et synthèse enfin, de récits scientifiques et littéraires.
Le Cosmos, malgré le fait qu’il n’est pas complètement achevé, et le fait qu'au milieu du XIXe siècle l’idée de rassembler toutes les connaissances dans un ouvrage commence à paraître vaine, atteint en Allemagne un tirage record de 80.000 exemplaires. Il devient, grâce aux traductions en français, anglais, italien, néerlandais et espagnol, un événement européen, représentatif de l'importance prise par la science au XIXe siècle et de nouvel son ancrage dans la société.
L'Altes et le Neues Museum
Musées publics
Contrairement à d’autres capitales de l’espace germanophone - Vienne, Munich, Dresde, Düsseldorf, Kassel -, Berlin n’avait pas de musée public dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. C’est, en effet, au cours de voyages que les jeunes Humboldt découvrirent la pratique – et l’atmosphere, le charme, l’utilité, le sens, la sacralité, le « mode d’emploi » - de ces institutions publiques dédiées à la peinture et à la sculpture antique. Ils n’y furent sans doute pas sensibles de la même façon l’un et l’autre.
Wilhelm et l'Altes Museum
Wilhelm von Humboldt se trouve étroitement associé au projet de création du premier musée public à Berlin. En 1829, il est nommé par le roi de Prusse président de la Commission du musée, chargée notamment de choisir les œuvres à exposer et de décider de leur agencement dans les salles.
Wilhelm conçoit, avec l'architecte Karl Schinkel, l'Altes Museum. Au service des élèves de l'Académie de peinture, des étudiants en histoire de l'art de l'université, et plus généralement de toute la société berlinoise, l’Altes Museum est un lieu emblématique du concept de Bildung - la formation de soi à travers l'art.Inauguré le 3 août 1830, l’Altes Museum expose principalement des sculptures antiques et des chefs-d’œuvre de grands maîtres italiens, néerlandais et allemands.
Cette naissance du musée est certes tardive dans le paysage des musées européens, mais ce premier musée public de Prusse joue au XIXe siècle un rôle central dans l’émergence de Berlin comme capitale culturelle.
Alexander et le Neues Museum
Si le premier musée de Berlin, consacré à l’art européen, est conçu sous la direction de Wilhelm von Humboldt, la conception du deuxième musée, le Neues Museum, se fait sous l'influence intellectuelle de son frère Alexander von Humboldt.
Édifié comme une extension de l’Altes Museum, réliée par une passerelle, le Neues Museum était destiné à recevoir les collections des cultures du monde. Ce nouveau musée réunissait les collections égyptiennes du roi de Prusse, des objets ethnographiques, des monuments d’antiquités trouvés lors de fouilles régionales, des collections de moulages d’antiques, et le cabinet des estampes.
La création de ce nouvel établissement d’ambition universelle est un projet d’envergure européenne.

August Stüler, 1853, Encre noire, mine de plomb, 51 x 72 cm, Berlin, Technische Universität, Architekturmuseum in der Universitätsbibliothek, © Berlin, Architekurmuseum TU

August Stüler, 1843, Encre noire, mine de plomb, aquarelle sur carton, 49,4 x 64,5 cm , Berlin, Technische Universität, Architekturmuseum in der Universitätsbibliothek, © Berlin, Architekurmuseum der TU Berlin