Révolution. Régenération
L'État comme vision
Wilhelm et Alexander von Humboldt ont l’un et l’autre joué un rôle déterminant dans le destin politique de l’Europe. À la suite de la Révolution française et de l’Empire, les jeunes élites européennes amorcent une vaste réflexion sur l’avenir des nations dans le concert européen. Le fait de s’engager par la parole, l’écriture et l’action politique est ressenti comme un devoir. Les frères Humboldt participent activement à ce mouvement.
Essai sur les limites de l'action de l'État
Si Wilhelm von Humboldt est fasciné par ce qu’il voit de la Révolution française à Paris, il éprouve aussi un réel malaise face aux abus qui accompagnent ce grand bouleversement politique. Il met en question la légitimité d’un État fondé sur la seule Raison et qui négligerait son inscription dans l’histoire. Ses réflexions débouchent sur la rédaction d’un essai important sur la théorie de l’État, qui met au premier plan les notions de Bildung (éducation) et d’individualité.
Wilhelm von Humboldt, 1867, Texte imprimé, Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, 2012-57610. © Bibliothèque nationale de France
Écrit en 1792, l’Essai sur les limites de l’action de l’État propose une approche libérale du rôle de l’État dans la société.
Selon Wilhelm, le rôle de l’État devait être limité uniquement à la protection des citoyens à l’intérieur du pays et à la défense des frontières contre les attaques extérieures. En ce qui concerne l’éducation, l’État ne devait surtout pas intervenir, laissant la liberté d’apprendre et d’enseigner à l’individu.
Quinze ans plus tard, ce texte sera au fondement des réformes libérales que Wilhelm von Humboldt, désormais ministre d’État prussien, contribuera à mettre en œuvre à Berlin.
Alexander : Agent politique
Conseiller du roi de Prusse
Malgré son refus d'exercer des fonctions officielles, Alexander von Humboldt se retrouve fortement impliqué dans les intérêts de la cour prussienne. Peu après son retour en Europe, Alexander est nommé chambellan en 1805 par le roi Frédéric-Guillaume III. Après qu'il a dépensé un tiers de sa fortune durant ses cinq ans de voyages, ce poste lui apporte une certaine stabilité financière.
Au lendemain de la bataille d’Austerlitz, les relations entre la France et la Prusse deviennent de plus en plus tendues. Parfaitement intégré à la scène politique française, Alexander se voit confier dès 1807 des missions diplomatiques à Paris, où il s’installe pour les prochains 25 ans.
Comme le montre une lettre du prince héritier Frédéric-Guillaume, Alexander est souvent sollicité pour intervenir auprès des autorités françaises. D’esprit médiateur et cosmopolite, Alexander von Humboldt se voit régulièrement reprocher d’un côté de la frontière de défendre les intérêts de la France, et de l’autre d’être un espion à la solde de la Prusse.
Dans cette lettre, il est question d’un mouvement de troupes prussiennes à la frontière française, ordonné par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III mais désapprouvé par son fils. Alexander est prié par ce dernier de se rendre d’urgence à Paris « pour expliquer au roi Louis-Philippe que ce rassemblement de troupes ne relève pas de mauvaises intentions à l’égard de la France mais constitue simplement une mesure de sécurité ». Humboldt voit dans cette lettre une preuve des bonnes intentions du prince héritier, que l’on accuse jadis à tort, selon lui, d’attiser les tensions avec la France après la Révolution de juillet. Il précise (à droite du sceau) : « Je fus envoyé à Paris en septembre 1830, fut de retour à Berlin quatre mois plus tard, n’y restai que 18 jours et repartis pour Paris en février 1831, où ma mission se prolongea jusqu’en avril 1832. »
Bien que les rapports diplomatiques qu’il envoie à Berlin dans les années 1830 témoignent de ses affinités avec le régime libéral du roi Louis-Philippe, il garde toute sa vie une attitude loyale à l’égard de la cour prussienne.
Le congrès de Vienne
La construction d'une nouvelle Europe
Le Congrès de Vienne a pour but de redéfinir les contours de l'Europe après la défaite de Napoléon Ier en 1815 et de construire un espace politique européen pacifié. Il constitue un événement majeur dans l'histoire de la diplomatie européenne.
Wilhelm von Humboldt, envoyé au Congrès par le roi de Prusse avec Karl August von Hardenberg, doit y négocier les dispositions territoriales qui concernent la Prusse et la fédération des États allemands.
Au préalable, il développe un cadre général pour le traitement des questions européennes qui sera non seulement déterminant pour le maintien de l'équilibre politique entre les grands pouvoirs, mais propose aussi un langage diplomatique qui fera du Congrès de Vienne un modèle pour les négociations tenues au terme des grandes guerres du XXe siècle.
Si les questions territoriales tiennent une place prépondérante dans sa mission, Wilhelm von Humboldt a également exercé son influence sur d’autres avancées du Congrès, comme notamment l'abolition de la traite des Noirs, la libre circulation navale et le rapatriement des biens culturels volés en Italie, en Allemagne et dans d'autres pays par Napoléon lors de ses campagnes.
Jean-Baptiste Isabey, 1815, Plume, encre brune, lavis brun, crayon noir, 11,8 x 8,5 cm, Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques, © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage
L'esquisse ci-contre, réalisée par Jean-Baptiste Isabey en préambule à sa gravure du congrès de Vienne, permet de découvrir le costume officiel porté par Wilhelm von Humboldt lors des négociations.
L’artiste note en haut de page au crayon « Mr le baron de Humbold aigle rouge habit carré et arrondi, idem broderie que le Cte de Lardenberg ». En plus de la médaille de chevalier de l’ordre de l'Aigle rouge mentionnée, on peut distinguer les deux croix de fer, décoration militaire créée en 1813 lors des guerres napoléoniennes, celle de deuxième classe avec le ruban blanc-noir qui désigne les non-combattants et celle de première classe avec agrafe.
Humboldt est avec le comte de Hardenberg, son supérieur lors du congrès de Vienne, le seul non-combattant à être décoré de la croix de fer de 1813 première classe.
En préparation du Congrès, Wilhelm rédige en français Le Projet pour les régulations du congrès, un texte qui interroge de manière précoce l’idée de la communauté européenne :
Autour de l'exposition virtuelle
Exposition au CROUS de Paris
En 2014, Paris Sciences et Lettres créait sa première exposition in situ, fruit d'une collaboration entre chercheurs et institutions prestigieuses en France et en Allemagne. Un an plus tard, PSL s'associait au CROUS de Paris pour donner une nouvelle forme à cette exposition, cette fois au milieu des étudiants. L'exposition s'est implantée dans les lieux de vie quotidiens des étudiants et personnels du CROUS, pour susciter leur étonnement et faire découvrir le parcours exceptionnel d'Alexander et Wilhelm von Humboldt.
Dates : 01 septembre 2015 au 18 décembre 2015
Tarifs : Gratuit
Horaires : Ouvert au public du lundi au vendredi, de 9h à 16h30.
Lieu : Centre Sarraih, 39 avenue Georges Bernanos, 75005 Paris
Catalogue de l'exposition
Les frères Humboldt. L'Europe de l'esprit, éd. De Monza, 2014, 200 pages.L'ouvrage ici présenté est le catalogue accompagnant l'exposition « Les frères Humboldt, L'Europe de l'Esprit » organisée par Paris Sciences & Lettres (PSL) qui a eu lieu du 15 mai au 30 juin 2014 à l'Observatoire de Paris. Le catalogue présente les frères Guillaume et Alexandre de Humboldt, intellectuels des Lumières allemandes, leur travail, leurs influences et leur postérité, au travers de cinq sections qui retracent les grands thèmes de l'exposition : « Matrix : racines familiales et actualité de l'Antique », « Res Publica : Révolution, Régénération », « L'Europe et le Monde : l'Autre comme horizon », « Morphologies : la partie et le tout » et « Savoir partager ! (savoirs partagés) ».
Au-delà de la documentation des pièces exposées (reproductions de cartes, d'écrits et d'objets), le catalogue est un ouvrage théorique qui inclut une dizaine d'essais rédigés par d'éminents spécialistes. Des encadrés rédigés par Laurence Bobis, Directrice de la bibliothèque de l'Observatoire, permettront aussi de faire le point sur des questions biographiques, politiques ou scientifiques particulières.
Destiné au grand public, aux visiteurs de l'exposition et à un public initié, l'ouvrage s'inscrit dans le prolongement de l'exposition et vise à mettre en avant les valeurs d'innovation, d'universalisme et d'ouverture au monde défendue par les frères Humboldt. Brillants esprits, l'un scientifique, l'autre littéraire, leurs travaux font montre de leur profond humanisme ainsi que de leur vision d'une Europe unie, fondée sur le progrès du savoir.
Disponible sur toutes les plateformes de vente en ligne et à la libraire l'Ecume des pages (174 Boulevard Saint-Germain, 75006 Paris).
À propos
Cette exposition virtuelle a été conçue comme le prolongement de l’exposition Les frères Humboldt, l’Europe de l’Esprit, réalisée à l’Observatoire de Paris du 15 mai au 11 juillet 2014.
Les frères Humboldt illustrent les communes valeurs qui unissent la France et le monde germanique par-delà les remous de l'Histoire : la fascination pour l'Antiquité, l'apologie du rationalisme, l'universalisme. Faire revivre, au travers de ces deux frères, l'effervescence intellectuelle d'une époque où tout est possible, montrer leur capacité d'innover, leur engagement, leur ouverture au monde, telle est l'ambition de cette toute première exposition à leur être consacrée, la première aussi qui soit montée par l'Université de recherche Paris Sciences et Lettres.
En se plaçant sous cette double figure tutélaire littéraire et scientifique des frères Humboldt, PSL fait sien l'idéal académique qu'ils ont défendu : une université qui repose sur l'excellence scientifique, qui revendique un modèle de formation par la recherche, qui embrasse toutes les disciplines, de l'astrophysique à la création artistique, des mathématiques aux humanités classiques.
Téléchargez le dossier de presse
Commissariat scientifique de l'exposition in situ
Bénédicte Savoy, Professeure d'histoire de l'art à Berlin
David Blankenstein, diplômé en histoire de l'art et en muséologie
Organisateurs de l’exposition
Paris Sciences et Lettres Research University (PSL), en partenariat avec le Labex TransferS.
Comité scientifique
Sous la présidence de Marc Fumaroli, de l'Académie française.
- Elisabeth Beyer, attachée du livre à l'Ambassade de France en Allemagne
- Laurence Bobis, directrice de la bibliothèque de l'Observatoire
- Monique Canto-Sperber, présidente de Paris Sciences et Lettres Research University
- Barbara Cassin, directrice de recherche au CNRS
- Michel Espagne, directeur du Labex TransferS
- Ottmar Ette, professeur à l'Université de Potsdam
- Christine von Heinz, propriétaire des archives et du château de Tegel
- Ulrich von Heinz, propriétaire des archives et du château de Tegel
- Eberhard Knobloch, professeur émérite de l'Université technique de Berlin
- Michelle Lenoir, directrice de la Bibliothèque centrale du Muséum national d'histoire naturelle
- Henri Loyrette, conseiller d'Etat
- Daniel Marchesseau, conservateur général honoraire du patrimoine
- Hermann Parzinger, président de la Fondation du patrimoine culturel prussien (SPK)
- Jürgen Trabant, professeur émérite de l'Université libre de Berlin
Remerciements
Marc Fumaroli et Monique Canto-Sperber souhaitent remercier :
- Madame Susanne Wasum-Rainer, Ambassadeur d'Allemagne en France
- Monsieur Louis Gallois et Monsieur Louis Schweitzer, les deux Commissaires généraux à l'investissement
- Monsieur Claude Catala, Président de l'Observatoire de Paris
- Les membres fondateurs de la Fondation Paris-Sciences et Lettres Les membres du Labex TransferS et son directeur Michel Espagne
- La République des Savoirs et son directeur Antoine Compagnon
Ainsi qu'Emmanuel Suard et Hubert Guicharrousse (Berlin, Ambassade de France en Allemagne), Hinrich Sieveking (Munich, collection Winterstein), Heinrich Schulze Altcappenberg (Berlin, Kupferstichkabinett SMB-PK), Isabelle le Masne de Chermont (Paris, BNF), Caroline Noyes et Gabriel Carlier (Paris, MNHN), Manfred Gräfe et Cornelia Gentzen (Berlin, Stiftung Stadtmuseum, Humboldt-Sammlung Hein et Hausarchiv), Hans-Dieter Nägelke et Claudia Zachariae (Berlin, Technische Universität, Architekturmuseum), Stéphanie Baumewerd, Annick Trellu et Philippa Sissis (Berlin, Technische Universität, Instistut d'histoire de l'art), Elisabeth Michel (Berlin), Sandrine Maufroy (Paris, Université Paris 4-Sorbonne), Emilie Oléron Evans (Londres, Queen Mary, University of London), Marie-Ange Maillet (Paris, Université Paris 8-Saint-Denis), Vincent Platini (Berlin, Freie Universität), Leah Stearns (Monticello, Thomas Jefferson Foundation at Monticello).
Coordination du projet et commissariat général
Hélène Chaudoreille
Annael Le Poullennec
Véronique Prouvost
Réalisation de l'exposition virtuelle
Nathalie Figueroa
Avec l'aide de
L'équipe du Pôle Ressources et Savoirs, PSL.
Dimitri Le Meur, ENS.
Voix enregistrées - lecteurs
Thomas Claret, Alice Billon, Anne Buers
Crédits thématiques du site
- Gottlieb Schick, Wilhelm von Humboldt, 1808, huile sur toile, 86 x 66 cm, © Berlin, Deutsches Historisches Museum
- Henry William Pickersgill, Alexander von Humboldt, 1831, huile sur toile, 142,2 x 109,2 cm © Bridgeman Art Library
- Johan Weitsch, Humboldt et Bonpland au pied du Chimborazo en Equateur, 1806, Huile sur toile, 163 x 226 cm © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Hermann Buresch
- Wilhelm von Humboldt, Anleitung zur Entwerfung einer allgemeinen Sprachkarte [Instructions pour la réalisation d'une carte générale des langues], annexe à une lettre à Goethe du 15 novembre 1812, encre sur papier, © Weimar, Klassik Stiftung Weimar, Goethe und Schiller-Archiv