Le Monde funéraire
Une des particularités du sanctuaire de Labraunda est d’être entouré d’une vaste nécropole. Si les sources littéraires mentionnent la présence d’un village, celle-ci ne suffit pas à expliquer l’existence de plusieurs centaines de tombes et la monumentalité de certaines. Il fallait donc que le sanctuaire exerce une forte attraction pour que s’y développe une telle nécropole.
Malgré l’inévitable déprédation liée aux pilleurs de tombes, plus d’une centaine de sépultures, dont certaines retrouvées intactes, ont été étudiées au cours de ces dernières années par les équipes d'archéologues sur place.
Ces tombes, qui témoignent d'une longue période d'occupation de la nécropole (IVe siècle av. J.-C. - IVe siècle ap. J.-C.), permettent de dessiner à grands traits l'évolution des coutumes funéraires cariennes et leur profonde transformation, notamment au cours de la période hellénistique (330 à 27 av. J.-C.).
Les sarcophages rupestres
Jusqu'à la première moitié du IVe siècle av. J.-C., les tombes sont particulièrement discrètes, creusées dans le sol rocheux et invisibles aux passants.
À compter de la période hellénistique, les tombes se monumentalisent, avec l’apparition des « sarcophages rupestres ». Les sarcophages sont aménagés au sommet de rochers et fermés par un grand couvercle monolithe. Ces tombes sont très clairement visibles dans le paysage et ont de toute évidence vocation à être remarquées.
Les fouilles indiquent qu’il s’agit de tombes familiales, occupées et réoccupées pendant des générations, parfois sur plusieurs siècles. Il semble donc s'agir de la marque d’une nouvelle conception des rapports entre le monde des vivants et celui des morts. La tombe gagne en importance, sur le plan architectural, mais aussi, probablement, en signification dans le panthéon familial.
La plupart des sarcophages rupestres sont localisés le long de la voie sacrée qui mène de Mylasa à Labraunda. Afin d’en accentuer la visibilité, on les agrémentait parfois de structures telles que des emmarchements taillés dans le rocher ou des stèles funéraires maintenues au moyen d’une mortaise creusée au sommet du couvercle.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreuses inscriptions datées de la même époque et découvertes dans la région de Mylasa révèlent l’apparition de nouvelles divinités, les Daimones Agathoi (les bons génies) qui semblent être associés aux membres disparus d’une famille. Ces derniers, en passant de vie à trépas, se transforment ainsi en génies protecteurs familiaux.
La tombe souterraine
À quelques kilomètres au sud de Labraunda, les recherches archéologiques ont permis de mettre au jour une très belle tombe souterraine. Composée d’un vestibule et d'une chambre funéraire, la tombe est entièrement construite en marbre.
Cette tombe qui date du IVe siècle av. J.-C. est située au pied de la montagne, le long de la voie sacrée qui menait de Mylasa à Labraunda.
Son architecture est typique de la période hékatomnide : elle marque la transition entre des modèles locaux de construction en bois et l’architecture monumentale grecque en marbre. Des techniques architecturales typiques de la construction en bois (les poutres du plafond par exemple) sont ainsi appliquées au marbre.
Les fouilles ont démontré la longévité exceptionnelle de telles structures : dans le cas présent, la tombe est construite au milieu du IVe siècle av. J.-C. par un grand propriétaire terrien, dont la famille a utilisé la chambre funéraire jusqu’au VIe siècle ap. J.-C.
La tombe monumentale
Le sanctuaire de Labraunda est dominé par une tombe monumentale exceptionnelle.
La tombe se compose d’un grand podium à deux niveaux. Au niveau inférieur, une cour mène à l’espace funéraire constitué d’une antichambre et d’une chambre, où sont disposés trois imposants sarcophages en gneiss. À l'étage supérieur, une seule grande pièce comprend une porte placée à plus de 3,5 mètres de hauteur. La cour du niveau inférieur est donc remblayée une fois le défunt placé dans la chambre funéraire.
Le podium est à l'origine surmonté d’une superstructure, aujourd’hui détruite, mais dont les éléments architecturaux sont encore visibles en contrebas. Au pied de la tombe, un autel monumental en forme de U servait à célébrer le culte funéraire dédié à l’occupant.
La date ainsi que l’identité du propriétaire de cette tombe restent mystérieuses. Aucun matériel associé n’a pu être mis au jour dans le podium de la tombe, pillée de longue date. La technique de construction évoque celle mise en œuvre pour les andrônes, mais certains détails semblent indiquer une date légèrement antérieure à ces derniers.
Selon l'hypothèse aujourd’hui en cours, la construction du podium remonterait au tout début de la période hékatomnide (fin du Ve – début du IVe siècle av. J.-C.) mais l'autel et la superstructure dateraient quant à eux du IIIe siècle av. J.-C.
Ces éléments correspondent donc à une phase de rénovation et d’embellissement de la tombe, plus tardive. Ces transformations qui tendent à monumentaliser la tombe participent probablement de la création d'un grand culte funéraire.
L'édifice s'inscrit visiblement dans la lignée du fameux mausolée d'Halikarnasse et pourrait lui aussi avoir abrité un représentant de la dynastie hékatomnide. Quoi qu'il en soit, la tombe monumentale de Labraunda est loin d'avoir livré tous ses secrets.
Bibliographie
Ouvrages généralistes
F. Kuzucu & M. Ural (dir.), Mylasa Labraunda - Milas Çomakdağ, Istanbul, 2010.
L. Karlsson & S. Carlsson (dir.), Labraunda and Karia. Proceedings of the International Symposium Commemorating Sixty Years of Swedish Archaeological Work in Labraunda (Boreas 32).The Royal Swedish Academy of Letters History and Antiquities, Stockholm, nov. 20-21 2008), Uppsala 2011.
P. Hellström, A guide to the Karian Sanctuary of Zeus Labraundos, Istanbul 2007.
O. Henry, Tombes de Carie : architecture funéraire et culture carienne, VIe-IIe s. av. J.-C., PUR, 2009.
L. Karlsson, S. Carlsson & J. Blid Kullberg (dir.), Labrys : studies presented to Pontus Hellström [Boreas 35], Uppsala, 2014.
Publication web : le site de l'équipe d'archéologues de Labraunda, disponible en anglais, français et turc : www.labraunda.org.
Publications scientifiques
O. Henry & D. Aubriet, “Le territoire de Mylasa et le serment d’Olympichos : autour d’une nouvelle inscription découverte au sanctuaire de Zeus Labraundos en Carie”, CRAI 2015, II, 673-702.
P. Hellström, "The Andrones at Labraynda. Dining halls for Protohellenistic kings", Basileia. Die Paläste der Hellenistischen Könige (dir. W. Hoepfner & G. Brands), Mainz 1996, 164- 169.
L. Karlsson, "Thoughts about fortifications in Caria from Maussollos to Demetrios Poliorketes", in Fortifications et défense du territoire en Asie Mineure occidentale et méridionale. Table ronde CNRS, Istanbul 20-27 mai 1993 (Revue des Etudes anciennes 96, 1994), 141-153.
P. Liljenstolpe & P. Schmalensee, "The Roman stoa of Poleites at Labraynda. A report on its architecture", Opuscula Atheniensia 21, 1996, 125-148.
Série Excavations and research at Labraunda, volumes I-IV, Lund, Stockholm, Istambul, 1955-2016.
Sources anciennes
Hérodote, Histoire, trad. P.-H. Larcher, éd. Charpentier, Paris, 1855. [V.119-121]
Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre XXXII, trad. E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles lettres, Paris, 1966. [XXXII.7]
Elien de Prénestre, La personnalité des animaux. Livres X à XVII et index, trad. A. Zucker, Postface de J.-C. Bailly, Les Belles lettres, 2002. [XII.30]
À propos
Cette exposition virtuelle a été conçue comme le prolongement de l’exposition photographique organisée à l'École normale supérieure du 26 octobre au 26 novembre 2015. 93 clichés photographiques réalisés par Ali Konyali mettaient en parallèle les vestiges antiques de Labraunda et l’habitat moderne et traditionnel des montagnes de la région du Comakdag, en Turquie. Il s’agissait de la version la plus étendue de cette exposition, montée plusieurs fois en Turquie et en Europe depuis 2010.
Le projet d’exposition virtuelle ici réalisé est complémentaire de cette approche visuelle, en accord avec les missions de PSL-Explore, site des ressources et savoirs de l’Université Paris Sciences et Lettres. Cette exposition propose ainsi une double approche : c’est à la fois le contexte historique et le travail archéologique qui est mis en avant, afin de présenter un état de la recherche et des connaissances sur Labraunda.
En accord avec cette mission de valorisation du savoir en cours de constitution, cette exposition propose donc d’épouser l’approche transversale qui est actuellement celle des chercheurs, via des grandes thématiques qui peuvent être suivies comme des parcours indépendants.
Pour s’adresser à tous les publics de PSL, des novices aux spécialistes du domaines, l'exposition peut être abordée à trois niveaux. Le plan interactif et la chronologie permettent une approche en un coup d’œil, qui peut être approfondie en parcourant les rubriques thématiques, tandis que les images qui s’ouvrent en visionneuse permettent aux publics intéressés de s’approcher au plus près des vestiges et des détails techniques.
Crédits de l’exposition virtuelle
Commissariat : Olivier Henry
Photographies : Ali Konyali, Olivier Henry, Pontus Hellström, Mission suédoise de Labraunda
Rédaction et réalisation : Élisa Thomas
Coordination éditoriale : Annael Le Poullennec
Avec l’aide de la Directrice et de l’équipe des Ressources et Savoirs de PSL.
Remerciements
Le Laboratoire Archéologie d’Orient et d’Occident (AOROC, CNRS-UMR 8546) et son directeur, Stéphane Verger
Jean-François Perouse, directeur de l’IFEA
Martin Godon, pensionnaire scientifique en charge de l’archéologie à l’IFEA
Hélène Chaudoreille, directrice des Ressources et savoirs de PSL
Véronique Prouvost, directrice de la Communication de l’ENS
Pontus Hellström, Professeur émérite, Université d’Uppsala
Ministère Français des Affaires Etrangères et du Développement International
Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA, CNRS-USR 3131)
Ministère Turc de la Culture et du Tourisme
Service de la Culture et de l’Information de l’Ambassade de Turquie
Guillaume Gorgé, imprimerie Mély-Melloni (27, rue Monge 75005 Paris)
Images reproduites avec l’aimable autorisation du British Museum (British Museum Images), wildwinds.com et Gemini III auction (Harlan J Berk and Freeman & Sear).