Chapitre 6

Une Histoire de la recherche à Labraunda

« Labraunda regorge de possibilités en vue de l'élucidation de la culture carienne, jusqu'ici quasi inconnue, ainsi que, je l'espère, des connections de celle-ci avec la culture minoenne. »
Axel W. Persson

Lorsqu'il prononce ces mots en 1948 devant l’Académie Royale de Suède, le professeur suédois d'archéologie classique Axel W. Persson se fait l'écho de l’attraction exercée par Labraunda sur les scientifiques du monde entier, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.

Les premiers voyageurs

L’existence de Labraunda est connue de très longue date : elle est mentionnée par nombre d'auteurs anciens parmi lesquels Hérodote, Strabon, Pline, Elien et Plutarque.

Pourtant, les savants modernes n’ont redécouvert le site qu’au XIXe siècle.

C’est un Français, Philippe Le Bas, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, qui mène les premiers travaux de relevés sur le site. Mandaté par le ministre de l’instruction publique pour mener une expédition épigraphique en Grèce et en Asie Mineure, Philippe Le Bas visite le site de Labraunda le 17 mars 1844.

Un extrait d’un courrier, publié dans La Revue Indépendante, révèle la fascination que le sanctuaire exerce sur le savant :

Temple à Labranda, Eugène Landron, 1847
Temple à Labraunda, Eugène Landron, 1847, Gravure in : Ph. Le Bas, Voyage archéologique en grèce et en asie Mineure, Paris : 1888, pl. I, tous droits réservés.
« J’avais enfin rencontré l’objet de mes fatigantes recherches : j’étais bien à Labranda. Strabon dit que le temple de Jupiter Stratius, dans ce lieu, était fort ancien. Tout, dans les ruines [...] annonce une haute antiquité. Il ne ressemble en rien à tous ceux que j’ai vus jusqu’à ce jour. »
Philippe Le Bas, La Revue Indépendante, mai-juin 1844
Temple de Jupiter à Labranda, Eugène Landron, 1847
Temple de Jupiter à Labranda, Eugène Landron, 1847, Gravurein : Ph. Le Bas, Voyage archéologique en grèce et en asie Mineure, Paris : 1888, pl. I, tous droits réservés.
Vue d’artiste de l’état de l’andrôn A (d’Idrieus) en 1847. À l’époque, les archéologues avaient confondu l’andrôn avec le temple de Zeus (Jupiter).

Malgré cette première approche, ce n'est qu'à l’aube du XXe siècle que les projets d'une éventuelle investigation archéologique du site se précisent. Une compétition féroce s'engage alors entre le Suédois Axel W. Persson et le Français Alfred Laumonier pour obtenir le droit de mener des fouilles à Labraunda.

En 1932, dans un long courrier adressé au directeur de l’Institut Français d’Archéologie d’Istanbul, Laumonier souligne « l’intérêt considérable [de mener des fouilles à Labraunda] pour l’histoire des religions et de la civilisation indigène encore si mystérieuse ».

C'est pourtant Persson qui l'emporte : on lui doit la première opération de fouilles en 1948.

Les premières opérations archéologiques

En 1948, Axel W. Persson, spécialiste de l’âge du Bronze en Grèce, suppose l'existence de liens entre les cultures carienne et crétoise de l'âge du Bronze. Il est persuadé de trouver à Labraunda les éléments manquant pour déchiffrer le « linéaire B », une écriture mycénienne découverte en Grèce continentale et en Crète.

L’équipe de fouille de 1948
L’équipe de fouille de 1948, Mission suédoise de Labraunda, 1948, tous droits réservés.
Au centre du rang supérieur, en chaemise blanche, le Professeur Axel W Persson (1888-1951).
Carnet de fouilles de 1953
Carnet de fouilles de 1953, Mission suédoise de Labraunda, 1953, Dessin, tous droits réservés.

Ces premières campagnes permettent de mettre au jour de nombreux édifices du cœur du sanctuaire : temple, andrônes, stoaimais les découvertes restent insuffisantes pour confirmer les hypothèses du professeur. Son décès marque une rupture dans le processus de fouilles : les campagnes s’espacent, le site finit par être remis aux autorités turques.

Cependant, à la suite de la publication de l’ensemble des rapports de fouilles, de nombreux chercheurs réclament de nouvelles campagnes afin de dégager complètement les bâtiments et d'approfondir leur étude.

Les opérations reprennent et s’intensifient à partir de 1987. Conduites par le professeur Pontus Hellström, les expéditions apportent des éléments décisifs notamment pour la connaissance du temple de Zeus, de l'andrôn B et de la stoa Est.

En 2002, après une ultime pause de huit années, les opérations reprennent sous la direction de Pontus Hellström, d’abord, puis du professeur Lars Karlsson en 2004.

C'est une étape cruciale. En effet, alors que l’essentiel des efforts s’étaient concentrés jusqu’ici sur l’espace délimité par le ​temenos​, Lars Karlsson décide d’élargir les investigations à la fois géographiquement, aux alentours immédiats du sanctuaire, et chronologiquement, en incluant notamment la période byzantine.

Pontus Hellström
Pontus Hellström, Olivier Henry, 2014, tous droits réservés.

Cette démarche prend en compte la longévité exceptionnelle du site et son inscription dans un réseau dense d'occupation du sol. Elle permet par exemple l’étude de la nécropole, des bains et des églises de la fin de l’époque romaine.

Depuis 2012, et à la suite de Lars Karlsson, les fouilles de Labraunda sont placées sous la direction d’Olivier Henry (ENS-AOROC, PSL).

La mission française à Labraunda

Prise de relevés dans les Bains Est
Prise de relevés dans les Bains Est, Olivier Henry, 2015, tous droits réservés.

Afin de privilégier une approche globale du site, Olivier Henry met en place une équipe internationale de plus de 45 intervenants originaires de 10 pays. Il ne s’agit plus seulement d’aborder les bâtiments les uns après les autres, mais aussi de les mettre en perspective, selon de grands axes d'étude transversaux, parmi lesquels la présence et la gestion de l'eau par exemple.

Au cours des dernières années, les champs d’étude se sont élargis grâce à de nouvelles approches techniques telles que l’archéométrie ou l’étude physico-chimique du matériel mis au jour. Parallèlement, à la demande des autorités locales, la nouvelle équipe met aussi l’accent sur des opérations de conservation, protection, restauration, et de mise en valeur du site. La restauration couvre aussi bien le « petit » matériel (céramique, objets en métal, monnaies) que des éléments d’architecture (inscriptions, colonnes, etc.), ou les bâtiments eux-mêmes.

collection de céramiques de Labraunda
Une collection de céramiques de Labraunda, Olivier Henry, 2010, tous droits réservés.

La direction des fouilles s’est aussi attachée à développer la logistique de la recherche, sur un site qui, éloigné de plus de 15 km de la ville la plus proche, n’offre que peu de commodités. Ces dernières années ont donc vu l’acquisition de nouvelles maisons de fouille, ainsi que la construction sur le site de véritables laboratoires de recherche.

Après plus de 65 années de fouilles, il importe également de renouer un lien avec les autorités et les publics locaux. De nombreuses actions de sensibilisation sont menées chaque année et des accords de collaboration ont été signés avec plusieurs universités locales.

Fouilles des bains Est
Fouilles des bains Est, Olivier Henry, 2016, tous droits réservés.

Enfin, la mission française à Labraunda se targue d’avoir pu réunir de nombreux soutiens financiers, institutionnels comme privés, français autant qu’étrangers. La fouille de Labraunda a, entre autres, obtenu le label de l’Académie Française pour l’année 2016.

Bibliographie

Ouvrages généralistes

F. Kuzucu & M. Ural (dir.), Mylasa Labraunda - Milas Çomakdağ, Istanbul, 2010.

L. Karlsson & S. Carlsson (dir.), Labraunda and Karia. Proceedings of the International Symposium Commemorating Sixty Years of Swedish Archaeological Work in Labraunda (Boreas 32).The Royal Swedish Academy of Letters History and Antiquities, Stockholm, nov. 20-21 2008), Uppsala 2011.

P. Hellström, A guide to the Karian Sanctuary of Zeus Labraundos, Istanbul 2007.

O. Henry, Tombes de Carie : architecture funéraire et culture carienne, VIe-IIe s. av. J.-C., PUR, 2009.

L. Karlsson, S. Carlsson & J. Blid Kullberg (dir.), Labrys : studies presented to Pontus Hellström [Boreas 35], Uppsala, 2014.

Publication web : le site de l'équipe d'archéologues de Labraunda, disponible en anglais, français et turc : www.labraunda.org.

 

Publications scientifiques

O. Henry & D. Aubriet, “Le territoire de Mylasa et le serment d’Olympichos : autour d’une nouvelle inscription découverte au sanctuaire de Zeus Labraundos en Carie”, CRAI 2015, II, 673-702.

P. Hellström, "The Andrones at Labraynda. Dining halls for Protohellenistic kings", Basileia. Die Paläste der Hellenistischen Könige (dir. W. Hoepfner & G. Brands), Mainz 1996, 164- 169.

L. Karlsson, "Thoughts about fortifications in Caria from Maussollos to Demetrios Poliorketes", in Fortifications et défense du territoire en Asie Mineure occidentale et méridionale. Table ronde CNRS, Istanbul 20-27 mai 1993 (Revue des Etudes anciennes 96, 1994), 141-153.

P. Liljenstolpe & P. Schmalensee, "The Roman stoa of Poleites at Labraynda. A report on its architecture", Opuscula Atheniensia 21, 1996, 125-148.

Série Excavations and research at Labraunda, volumes I-IV, Lund, Stockholm, Istambul, 1955-2016.

 

Sources anciennes

Hérodote, Histoire, trad. P.-H. Larcher, éd. Charpentier, Paris, 1855. [V.119-121]

Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre XXXII, trad. E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles lettres, Paris, 1966.  [XXXII.7]

Elien de Prénestre, La personnalité des animaux. Livres X à XVII et index, trad. A. Zucker, Postface de J.-C. Bailly, Les Belles lettres, 2002. [XII.30]

À propos

Cette exposition virtuelle a été conçue comme le prolongement de l’exposition photographique organisée à l'École normale supérieure du 26 octobre au 26 novembre 2015. 93 clichés photographiques réalisés par Ali Konyali mettaient en parallèle les vestiges antiques de Labraunda et l’habitat moderne et traditionnel des montagnes de la région du Comakdag, en Turquie. Il s’agissait de la version la plus étendue de cette exposition, montée plusieurs fois en Turquie et en Europe depuis 2010.

Le projet d’exposition virtuelle ici réalisé est complémentaire de cette approche visuelle, en accord avec les missions de PSL-Explore, site des ressources et savoirs de l’Université Paris Sciences et Lettres. Cette exposition propose ainsi une double approche : c’est à la fois le contexte historique et le travail archéologique qui est mis en avant, afin de présenter un état de la recherche et des connaissances sur Labraunda.

En accord avec cette mission de valorisation du savoir en cours de constitution, cette exposition propose donc d’épouser l’approche transversale qui est actuellement celle des chercheurs, via des grandes thématiques qui peuvent être suivies comme des parcours indépendants.

Pour s’adresser à tous les publics de PSL, des novices aux spécialistes du domaines, l'exposition peut être abordée à trois niveaux. Le plan interactif et la chronologie permettent une approche en un coup d’œil, qui peut être approfondie en parcourant les rubriques thématiques, tandis que les images qui s’ouvrent en visionneuse permettent aux publics intéressés de s’approcher au plus près des vestiges et des détails techniques.

 

Crédits de l’exposition virtuelle

Commissariat : Olivier Henry

Photographies : Ali Konyali, Olivier Henry, Pontus Hellström, Mission suédoise de Labraunda

Rédaction et réalisation : Élisa Thomas

Coordination éditoriale : Annael Le Poullennec

Avec l’aide de la Directrice et de l’équipe des Ressources et Savoirs de PSL.

 

Remerciements

Le Laboratoire Archéologie d’Orient et d’Occident (AOROC, CNRS-UMR 8546) et son directeur, Stéphane Verger

Jean-François Perouse, directeur de l’IFEA

Martin Godon, pensionnaire scientifique en charge de l’archéologie à l’IFEA

Hélène Chaudoreille, directrice des Ressources et savoirs de PSL

Véronique Prouvost, directrice de la Communication de l’ENS

Pontus Hellström, Professeur émérite, Université d’Uppsala

Ministère Français des Affaires Etrangères et du Développement International

Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA, CNRS-USR 3131)

Ministère Turc de la Culture et du Tourisme

Service de la Culture et de l’Information de l’Ambassade de Turquie

Guillaume Gorgé, imprimerie Mély-Melloni (27, rue Monge 75005 Paris)

Images reproduites avec l’aimable autorisation du British Museum (British Museum Images), wildwinds.com et Gemini III auction (Harlan J Berk and Freeman & Sear).