Si Labraunda est surtout connu pour son culte de Zeus à la double hache, le site était un sanctuaire bien avant l'époque des Hékatomnides. 

Un rocher remarquable surplombe le site de Labraunda. Il laisse à penser que celui-ci pourrait avoir été considéré très tôt comme un lieu sacré. En effet, ce rocher régulièrement frappé par la foudre paraît avoir été fendu en deux à son sommet par un coup de hache. Ce phénomène a pu faire croire aux anciens que le dieu du ciel manifestait ainsi sa puissance.

Le Zeus de Labraunda

psl_psl-explore_labraunda_mausoleos
Monnaie de Mausole, 377-353 av. J.-C.,
Argent, 15,06 grammes, tous droits réservés.
Zeus Labraundos vu de profil, frappé sur le revers d’un tétradrachme en argent de Mausollos (origine : Mylasa). Il porte la double hache (labrys) sur l’épaule droite et la lance dans la main gauche. Le nom de Mausole est inscrit à droite.

Sous l'influence du pouvoir hékatomnide, le Zeus de Labraunda devint l’une des divinités les plus puissantes de Carie.

Cette figure marque une transformation profonde dans les cultes locaux et sa représentation montre une synthèse complexe des courants culturels à l’œuvre dans la région.

En tant que divinité de l’orage et des cieux, il est probablement l’une des incarnations du grand dieu de l’orage Tarhunt, hérité des cultures anatoliennes anciennes. Il doit peut-être aussi son épithète « Labraundos » aux anciens peuples de la région (Lydiens, Hittites) ou à la civilisation crétoise de l'âge du bronze (Minoens).

Il porte, en outre, une double symbolique masculine et féminine. S'il est souvent représenté sous les traits d'un homme barbu, la double hache le rattache à la culture minoenne qui associe ce symbole aux déesses mères crétoises.

La stèle votive ci-contre représente, de gauche à droite, Ada, Zeus Labraundos et Idrieus. Elle fut découverte à Tégéa, dans le Péloponnèse. On l’attribue généralement à l’architecte Pythéos qui a réalisé les travaux d'agrandissement du temple de Zeus à Labraunda.

Stèle de Tégéa
La stèle de Tégéa, [Pythéos], 351-344 av. J.-C., British Museum, Inv. 1914,0714.1, © British Museum, tous droits réservés.
psl_psl-explore_zeus_polymaste
Zeus Labraundos, John Turtle Wood, 1877
Dessin paru dans Discoveries at Ephesus including the Site and Remains of the Great Temple of Diana, London, Longmans, Green, 1877.

Les représentations du dieu à l’époque impériale le montrent régulièrement « polymaste », c'est-à-dire arborant de multiples protubérances sur sa poitrine. Cet attribut est généralement la marque des déesses de la fécondité, très présentes dans cette partie de la Méditerranée.

Le dessin ci-contre illustre cette particularité. Il est l'unique témoignage d'une stèle de marbre retrouvée à Mylasa mais aujourd'hui disparue.

Ce Zeus aux multiples facettes se présente comme un puzzle remarquable dont chaque pièce semble être la manifestation d’une interaction culturelle distincte.

L'activité du culte

Labraunda est relativement éloigné des villes les plus proches à l'époque antique. On peut supposer que la vie quotidienne est peu animée pour la petite communauté d'habitants en charge du sanctuaire. Le contraste avec le tumulte des quelques jours annuels de festivités est probablement saisissant. Le banquet et le sacrifice à Zeus, qui durent cinq jours consécutifs, constituent en effet l’événement majeur de l’année.

Perspective du sanctuaire, depuis le sud-est
Perspective du sanctuaire, depuis le sud-est, Folke Hederus, 1953, Dessin, Mission Labraunda, tous droits réservés.
Représentation en perspective des terrasses de l’andrôn B de Mausole (au premier plan) et de la terrasse du temple (à l’arrière).

On estime que les participants au banquet sacrificiel annuel se comptent par milliers. D’importantes processions cheminent depuis les villages de la vallée et les villes situées au-delà. Les fidèles apportent des offrandes, du vin, et du bétail (bœufs, moutons, chèvres) destiné au sacrifice au dieu.

Les festivités rassemblent aussi des musiciens et des athlètes, comme en témoigne l’existence d’un grand stade à quelques centaines de mètres du sanctuaire.

Le sacrifice des animaux sur l’autel de Zeus marque le point culminant du festival. Une part des produits du sacrifice (os et graisse) est brûlée en l'honneur de la divinité. Une autre part revient aux mortels : la viande des animaux sacrifiés est cuisinée pour le banquet. Pendant ce temps, les compétitions sportives se déroulent au stade.

Le festival à Labraunda
Le festival à Labraunda, Eric Berggren, 1951, Mission Labraunda, tous droits réservés
Vue d’artiste du déroulement du festival annuel de Labraunda, au IVe siècle av. J.-C.

Bien que le site de Labraunda soit relativement étendu, le culte se concentre sur la terrasse haute, où se trouvent le temple et l’autel de Zeus.

Les membres les plus importants des communautés, notamment les chefs et les prêtres, sont invités dans les salles de banquet, les andrônes. Ils s’allongent sur des lits (klinè) pour y consommer le repas sacrificiel. On y sert quantité de vins en l’honneur de Zeus, représenté par une statue placée dans une niche à l'arrière de la pièce. Des personnalités de moindre rang s’étendent dans les six salles à manger prévues à cet effet.

Le temple de Zeus à Labraunda
Le temple de Zeus, Felix Cederling, 2014, Modèle 3D, Mission Labraunda, tous droits réservés
Restitution 3D du temple de Zeus à Labraunda, daté de la période d’Idrieus (autour de 350 av. J.C.). Idrieus a considérablement agrandi et modifié la structure originelle, datant de l'époque archaïque.
 Restitution d’un chapiteau du temple de Zeus à Labraunda Felix Cederling, 2016, Mission Labraunda, tous droits réserves.
Restitution d’un chapiteau du temple de Zeus à Labraunda daté de la période d’Idrieus (autour de 350 av. J.C.), Felix Cederling, 2016, Mission Labraunda, tous droits réserves.

Les bâtiments dédiés au banquet peuvent accueillir jusqu’à 200 personnes. Cependant, la plupart des participants festoient probablement à l’extérieur, sous des abris provisoires montés sur les diverses terrasses du sanctuaire.

Des païens aux chrétiens

Labraunda reste un lieu de culte important jusqu'à la fin de l’époque romaine, comme le prouve l’érection concomitante d’au moins deux églises sur le site aux alentours de la fin du Ve siècle ap. J.-C.

La première, l’église Est, est localisée à l'entrée même du site, occupant une partie des bains romains abandonnés quelques décennies auparavant. La seconde, l'église Ouest, se situe le long de la voie sacrée, en bas du site et est construite sur une ancienne colonnade (stoa).

L'église Est et le complexe des bains Est
L'église Est et le complexe des bains Est à l’entrée du site de Labraunda, Olivier Henry, 2016, tous droits réservés.
En bas de cette vue aérienne, on remarque le large apodyterium (vestiaire) transformé en église au VIe siècle ap. J.-C. La construction réutilise donc en partie les thermes romains avec lesquels existait une communication.

Les archéologues s'interrogent sur les raisons de la construction de deux églises distinctes, qui peuvent avoir servi des objectifs différents, et sur les mécanismes de transition entre les cultes païen et chrétien.

Quoi qu’il en soit, il semble que les deux cultes se soient côtoyés et que l’église Est ait été rapidement abandonnée au profit de l’église Ouest, dont l’activité perdure au moins jusqu’au XIIe siècle ap. J.-C.

Bibliographie

Ouvrages généralistes

F. Kuzucu & M. Ural (dir.), Mylasa Labraunda - Milas Çomakdağ, Istanbul, 2010.

L. Karlsson & S. Carlsson (dir.), Labraunda and Karia. Proceedings of the International Symposium Commemorating Sixty Years of Swedish Archaeological Work in Labraunda (Boreas 32).The Royal Swedish Academy of Letters History and Antiquities, Stockholm, nov. 20-21 2008), Uppsala 2011.

P. Hellström, A guide to the Karian Sanctuary of Zeus Labraundos, Istanbul 2007.

O. Henry, Tombes de Carie : architecture funéraire et culture carienne, VIe-IIe s. av. J.-C., PUR, 2009.

L. Karlsson, S. Carlsson & J. Blid Kullberg (dir.), Labrys : studies presented to Pontus Hellström [Boreas 35], Uppsala, 2014.

Publication web : le site de l'équipe d'archéologues de Labraunda, disponible en anglais, français et turc : www.labraunda.org.

 

Publications scientifiques

O. Henry & D. Aubriet, “Le territoire de Mylasa et le serment d’Olympichos : autour d’une nouvelle inscription découverte au sanctuaire de Zeus Labraundos en Carie”, CRAI 2015, II, 673-702.

P. Hellström, "The Andrones at Labraynda. Dining halls for Protohellenistic kings", Basileia. Die Paläste der Hellenistischen Könige (dir. W. Hoepfner & G. Brands), Mainz 1996, 164- 169.

L. Karlsson, "Thoughts about fortifications in Caria from Maussollos to Demetrios Poliorketes", in Fortifications et défense du territoire en Asie Mineure occidentale et méridionale. Table ronde CNRS, Istanbul 20-27 mai 1993 (Revue des Etudes anciennes 96, 1994), 141-153.

P. Liljenstolpe & P. Schmalensee, "The Roman stoa of Poleites at Labraynda. A report on its architecture", Opuscula Atheniensia 21, 1996, 125-148.

Série Excavations and research at Labraunda, volumes I-IV, Lund, Stockholm, Istambul, 1955-2016.

 

Sources anciennes

Hérodote, Histoire, trad. P.-H. Larcher, éd. Charpentier, Paris, 1855. [V.119-121]

Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre XXXII, trad. E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles lettres, Paris, 1966.  [XXXII.7]

Elien de Prénestre, La personnalité des animaux. Livres X à XVII et index, trad. A. Zucker, Postface de J.-C. Bailly, Les Belles lettres, 2002. [XII.30]

À propos

Cette exposition virtuelle a été conçue comme le prolongement de l’exposition photographique organisée à l'École normale supérieure du 26 octobre au 26 novembre 2015. 93 clichés photographiques réalisés par Ali Konyali mettaient en parallèle les vestiges antiques de Labraunda et l’habitat moderne et traditionnel des montagnes de la région du Comakdag, en Turquie. Il s’agissait de la version la plus étendue de cette exposition, montée plusieurs fois en Turquie et en Europe depuis 2010.

Le projet d’exposition virtuelle ici réalisé est complémentaire de cette approche visuelle, en accord avec les missions de PSL-Explore, site des ressources et savoirs de l’Université Paris Sciences et Lettres. Cette exposition propose ainsi une double approche : c’est à la fois le contexte historique et le travail archéologique qui est mis en avant, afin de présenter un état de la recherche et des connaissances sur Labraunda.

En accord avec cette mission de valorisation du savoir en cours de constitution, cette exposition propose donc d’épouser l’approche transversale qui est actuellement celle des chercheurs, via des grandes thématiques qui peuvent être suivies comme des parcours indépendants.

Pour s’adresser à tous les publics de PSL, des novices aux spécialistes du domaines, l'exposition peut être abordée à trois niveaux. Le plan interactif et la chronologie permettent une approche en un coup d’œil, qui peut être approfondie en parcourant les rubriques thématiques, tandis que les images qui s’ouvrent en visionneuse permettent aux publics intéressés de s’approcher au plus près des vestiges et des détails techniques.

 

Crédits de l’exposition virtuelle

Commissariat : Olivier Henry

Photographies : Ali Konyali, Olivier Henry, Pontus Hellström, Mission suédoise de Labraunda

Rédaction et réalisation : Élisa Thomas

Coordination éditoriale : Annael Le Poullennec

Avec l’aide de la Directrice et de l’équipe des Ressources et Savoirs de PSL.

 

Remerciements

Le Laboratoire Archéologie d’Orient et d’Occident (AOROC, CNRS-UMR 8546) et son directeur, Stéphane Verger

Jean-François Perouse, directeur de l’IFEA

Martin Godon, pensionnaire scientifique en charge de l’archéologie à l’IFEA

Hélène Chaudoreille, directrice des Ressources et savoirs de PSL

Véronique Prouvost, directrice de la Communication de l’ENS

Pontus Hellström, Professeur émérite, Université d’Uppsala

Ministère Français des Affaires Etrangères et du Développement International

Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA, CNRS-USR 3131)

Ministère Turc de la Culture et du Tourisme

Service de la Culture et de l’Information de l’Ambassade de Turquie

Guillaume Gorgé, imprimerie Mély-Melloni (27, rue Monge 75005 Paris)

Images reproduites avec l’aimable autorisation du British Museum (British Museum Images), wildwinds.com et Gemini III auction (Harlan J Berk and Freeman & Sear).