Le sanctuaire de Labraunda, où est vénéré Zeus à la double hache, est pendant l'Antiquité un sanctuaire majeur d’Anatolie.

Accroché aux flancs du mont Latmos, le site se trouve au cœur de la Carie, dans le sud-ouest de l’Asie Mineure. Il est la vitrine de la puissance politique, économique et culturelle du peuple carien, dont est issu le fameux Mausole, qui a donné son nom au mausolée d'Halikarnasse.

La Carie

La région carienne occupe le quart sud-ouest de l'Anatolie, l'actuelle Turquie.

Carte des grandes régions de l'Anatolie et localisation du site de Labraunda
Carte des grandes régions de l'Anatolie et localisation du site de Labraunda, Olivier Henry, 2010, tous droits réservés.

Par sa localisation, au carrefour des voies de communication maritime Est-Ouest et Nord-Sud, la région se trouve au centre des échanges matériels, porteurs des courants culturels.

Zone de contact entre les civilisations occidentales (Minoens) et orientales (Hittites) dès l’âge du bronze, la Carie est considérée comme le point d'entrée de l’hellénisme en Asie Mineure.

Intégrée à l’Empire Perse dès le VIsiècle avant J.-C., la Carie connaît son apogée au IVsiècle, lorsque le Grand Roi Artaxerxès II Mnémon décide d’en faire une satrapie (province) distincte.

À cette occasion, il nomme satrape (gouverneur) de Carie l’un des nombreux souverains locaux qui occupent la région, Hékatomnos, fondateur de la dynastie des Hékatomnides.

Carte de situation du site de Labraunda
Carte de situation du site de Labraunda, Olivier Henry, 2015, tous droits réservés.

À la suite d'Hékatomnos se succèdent ses cinq fils et filles, qui ont la particularité de se marier entre frères et soeurs : Mausole et Artémisia, Idrieus et Ada, et le dernier frère, Pixodaros.

Le premier de la fratrie à accéder au trône est Mausole, resté célèbre grâce à sa tombe monumentale à Halikarnasse, le mausolée, inscrit sur la liste des sept merveilles du monde antique. Mausole règne de 377 à 353 av. J.-C. et transforme la Carie, jusqu’ici une mosaïque de villes et de villages dirigés par des dynastes locaux, en une véritable nation. Pour ce faire, il réforme profondément l’économie de la région, développe son urbanisme et met en valeur sa culture locale, teintée d’influences anatoliennes autant que grecques.

Le sanctuaire de Labraunda

Monnaie de Mausole
Monnaie de Mausole, 377-353 av. J.-C., Argent, 3.42gr, Tous droits réservés.
Vue de Zeus Labraundos de profil sur le revers d’un tétradrachme en argent de Mausollos (frappe de Mylasa). Il porte la double hache (labrys) sur l’épaule droite et la lance dans la main gauche. Le nom de Mausole « MAUSSOLLOS » est inscrit à droite.

Dédié à Zeus Labraundos, porteur de la double hache, le sanctuaire est construit sur les flancs de la montagne du Çomakdağ, à 14 km de Mylasa, la ville la plus proche. Bien que retiré, ce lieu sacré attire, à l'époque antique, des pèlerins venus de toute la Carie.

Entouré d’une forêt de platanes, le sanctuaire se limite à l’origine à une seule terrasse qui porte un autel et un petit temple orné de deux colonnes en façade. Il est probablement indépendant et géré par les prêtres qui y officient.

On suppose que vit alors, à proximité de ce sanctuaire, toute une petite communauté : les prêtres et leurs familles, les employés du temple, les esclaves, les ouvriers qui assurent l’entretien des édifices religieux et les agriculteurs qui cultivent les terres sacrées.

 

Le nom du sanctuaire est orthographié Labraunda, mais on peut trouver d'autres variantes comme Labranda ou Labraynda dans les sources anciennes et sur les inscriptions in situ. Ces diverses graphies sont dues à l’évolution du langage et de la prononciation à travers les siècles.

Vue aérienne du sanctuaire de Labraunda
Vue aérienne du sanctuaire de Labraunda

Évolutions du site

Lorsque les Hékatomnides sont placés à la tête de la satrapie nouvellement créée de Carie, ils entreprennent de réunir l’ensemble des communautés cariennes autour d’une identité commune. Ils décident alors de refonder un certain nombre de lieux de cultes modestes qui acquièrent une dimension nationale.

Mausole (377-352 av. J.-C.) puis son frère Idrieus (351-344 av. J.-C.) commandent de grands travaux de terrassement et la construction d'une série de bâtiments monumentaux. Ainsi, les Hékatomnides dotent le sanctuaire d’une architecture somptuaire et font de Labraunda le centre cultuel le plus important de la région.

Cependant, la fonction de Labraunda excède sa dimension religieuse. Grâce à son architecture majestueuse, le sanctuaire devient aussi un symbole du pouvoir hékatomnide.

Le « Sphinx de Labranda » figure parmi les plus beaux exemples de la riche ornementation du sanctuaire. Cette statue était placée à l’angle de la toiture de l’andrôn de Mausole et jouait le rôle d’acrotère (ornement). La représentation d’un sphinx mâle s’oppose aux représentations féminines du même type que l’on trouve généralement en Grèce. Ce sphinx entretient d'ailleurs une ressemblance troublante avec les représentations de Zeus. Le traitement de la barbe et des cheveux est clairement orientalisant (d'influence perse).

Le Sphinx de Labraunda
Le Sphinx de Labraunda, 377-353 av. J.-C.
Marbre, 1, 08 m, Musée archéologique de Bodrum, Photo Pontus Hellström, tous droits réservés.

Si l’activité architecturale connaît un certain ralentissement après la disparition des Hékatomnides, vers la fin du IVe siècle av. J.-C.les recherches récentes prouvent qu’elle ne s’arrête jamais vraiment.

Labraunda reste au centre du dispositif politique et religieux carien au moins jusqu’à la fin de la période romaine, au IVe siècle ap. J.-C. À cette époque, pas moins de trois complexes balnéaires sont en effet construits. La transition religieuse au début de la période byzantine y est aussi fortement marquée, avec la construction de deux églises autour des Ve et VIe siècles ap. J.-C.

Le site ne sera abandonné qu’au XIIIe siècle avant d’être redécouvert au XIXe siècle par les voyageurs européens.

Restitution de Labraunda vers 300 ap. J.-C.
<i><b>Restitution de Labraunda vers 300 ap. J.-C.</b></i><br/> Jesper Blid, 2014, Aquarelle, Swedish Research Institute in Istanbul, tous droits réservés.<br/><i> Vue d’artiste, inspirée de plusieurs hypothèses de travail. Elle présente une projection de l’apparence du site de Labraunda vu depuis le sud, au cours du IVe siècle ap. J.-C..</i>

Bibliographie

Ouvrages généralistes

F. Kuzucu & M. Ural (dir.), Mylasa Labraunda - Milas Çomakdağ, Istanbul, 2010.

L. Karlsson & S. Carlsson (dir.), Labraunda and Karia. Proceedings of the International Symposium Commemorating Sixty Years of Swedish Archaeological Work in Labraunda (Boreas 32).The Royal Swedish Academy of Letters History and Antiquities, Stockholm, nov. 20-21 2008), Uppsala 2011.

P. Hellström, A guide to the Karian Sanctuary of Zeus Labraundos, Istanbul 2007.

O. Henry, Tombes de Carie : architecture funéraire et culture carienne, VIe-IIe s. av. J.-C., PUR, 2009.

L. Karlsson, S. Carlsson & J. Blid Kullberg (dir.), Labrys : studies presented to Pontus Hellström [Boreas 35], Uppsala, 2014.

Publication web : le site de l'équipe d'archéologues de Labraunda, disponible en anglais, français et turc : www.labraunda.org.

 

Publications scientifiques

O. Henry & D. Aubriet, “Le territoire de Mylasa et le serment d’Olympichos : autour d’une nouvelle inscription découverte au sanctuaire de Zeus Labraundos en Carie”, CRAI 2015, II, 673-702.

P. Hellström, "The Andrones at Labraynda. Dining halls for Protohellenistic kings", Basileia. Die Paläste der Hellenistischen Könige (dir. W. Hoepfner & G. Brands), Mainz 1996, 164- 169.

L. Karlsson, "Thoughts about fortifications in Caria from Maussollos to Demetrios Poliorketes", in Fortifications et défense du territoire en Asie Mineure occidentale et méridionale. Table ronde CNRS, Istanbul 20-27 mai 1993 (Revue des Etudes anciennes 96, 1994), 141-153.

P. Liljenstolpe & P. Schmalensee, "The Roman stoa of Poleites at Labraynda. A report on its architecture", Opuscula Atheniensia 21, 1996, 125-148.

Série Excavations and research at Labraunda, volumes I-IV, Lund, Stockholm, Istambul, 1955-2016.

 

Sources anciennes

Hérodote, Histoire, trad. P.-H. Larcher, éd. Charpentier, Paris, 1855. [V.119-121]

Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre XXXII, trad. E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles lettres, Paris, 1966.  [XXXII.7]

Elien de Prénestre, La personnalité des animaux. Livres X à XVII et index, trad. A. Zucker, Postface de J.-C. Bailly, Les Belles lettres, 2002. [XII.30]

À propos

Cette exposition virtuelle a été conçue comme le prolongement de l’exposition photographique organisée à l'École normale supérieure du 26 octobre au 26 novembre 2015. 93 clichés photographiques réalisés par Ali Konyali mettaient en parallèle les vestiges antiques de Labraunda et l’habitat moderne et traditionnel des montagnes de la région du Comakdag, en Turquie. Il s’agissait de la version la plus étendue de cette exposition, montée plusieurs fois en Turquie et en Europe depuis 2010.

Le projet d’exposition virtuelle ici réalisé est complémentaire de cette approche visuelle, en accord avec les missions de PSL-Explore, site des ressources et savoirs de l’Université Paris Sciences et Lettres. Cette exposition propose ainsi une double approche : c’est à la fois le contexte historique et le travail archéologique qui est mis en avant, afin de présenter un état de la recherche et des connaissances sur Labraunda.

En accord avec cette mission de valorisation du savoir en cours de constitution, cette exposition propose donc d’épouser l’approche transversale qui est actuellement celle des chercheurs, via des grandes thématiques qui peuvent être suivies comme des parcours indépendants.

Pour s’adresser à tous les publics de PSL, des novices aux spécialistes du domaines, l'exposition peut être abordée à trois niveaux. Le plan interactif et la chronologie permettent une approche en un coup d’œil, qui peut être approfondie en parcourant les rubriques thématiques, tandis que les images qui s’ouvrent en visionneuse permettent aux publics intéressés de s’approcher au plus près des vestiges et des détails techniques.

 

Crédits de l’exposition virtuelle

Commissariat : Olivier Henry

Photographies : Ali Konyali, Olivier Henry, Pontus Hellström, Mission suédoise de Labraunda

Rédaction et réalisation : Élisa Thomas

Coordination éditoriale : Annael Le Poullennec

Avec l’aide de la Directrice et de l’équipe des Ressources et Savoirs de PSL.

 

Remerciements

Le Laboratoire Archéologie d’Orient et d’Occident (AOROC, CNRS-UMR 8546) et son directeur, Stéphane Verger

Jean-François Perouse, directeur de l’IFEA

Martin Godon, pensionnaire scientifique en charge de l’archéologie à l’IFEA

Hélène Chaudoreille, directrice des Ressources et savoirs de PSL

Véronique Prouvost, directrice de la Communication de l’ENS

Pontus Hellström, Professeur émérite, Université d’Uppsala

Ministère Français des Affaires Etrangères et du Développement International

Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA, CNRS-USR 3131)

Ministère Turc de la Culture et du Tourisme

Service de la Culture et de l’Information de l’Ambassade de Turquie

Guillaume Gorgé, imprimerie Mély-Melloni (27, rue Monge 75005 Paris)

Images reproduites avec l’aimable autorisation du British Museum (British Museum Images), wildwinds.com et Gemini III auction (Harlan J Berk and Freeman & Sear).