
Introduction
Le sanctuaire de Labraunda, où est vénéré Zeus à la double hache, est pendant l'Antiquité un sanctuaire majeur d’Anatolie.
Accroché aux flancs du mont Latmos, le site se trouve au cœur de la Carie, dans le sud-ouest de l’Asie Mineure. Il est la vitrine de la puissance politique, économique et culturelle du peuple carien, dont est issu le fameux Mausole, qui a donné son nom au mausolée d'Halikarnasse.
La Carie
La région carienne occupe le quart sud-ouest de l'Anatolie, l'actuelle Turquie.
Par sa localisation, au carrefour des voies de communication maritime Est-Ouest et Nord-Sud, la région se trouve au centre des échanges matériels, porteurs des courants culturels.
Zone de contact entre les civilisations occidentales (Minoens) et orientales (Hittites) dès l’âge du bronze, la Carie est considérée comme le point d'entrée de l’hellénisme en Asie Mineure.
Intégrée à l’Empire Perse dès le VIe siècle avant J.-C., la Carie connaît son apogée au IVe siècle, lorsque le Grand Roi Artaxerxès II Mnémon décide d’en faire une satrapie (province) distincte.
À cette occasion, il nomme satrape (gouverneur) de Carie l’un des nombreux souverains locaux qui occupent la région, Hékatomnos, fondateur de la dynastie des Hékatomnides.
À la suite d'Hékatomnos se succèdent ses cinq fils et filles, qui ont la particularité de se marier entre frères et soeurs : Mausole et Artémisia, Idrieus et Ada, et le dernier frère, Pixodaros.
Le premier de la fratrie à accéder au trône est Mausole, resté célèbre grâce à sa tombe monumentale à Halikarnasse, le mausolée, inscrit sur la liste des sept merveilles du monde antique. Mausole règne de 377 à 353 av. J.-C. et transforme la Carie, jusqu’ici une mosaïque de villes et de villages dirigés par des dynastes locaux, en une véritable nation. Pour ce faire, il réforme profondément l’économie de la région, développe son urbanisme et met en valeur sa culture locale, teintée d’influences anatoliennes autant que grecques.
Le sanctuaire de Labraunda

Vue de Zeus Labraundos de profil sur le revers d’un tétradrachme en argent de Mausollos (frappe de Mylasa). Il porte la double hache (labrys) sur l’épaule droite et la lance dans la main gauche. Le nom de Mausole « MAUSSOLLOS » est inscrit à droite.
Dédié à Zeus Labraundos, porteur de la double hache, le sanctuaire est construit sur les flancs de la montagne du Çomakdağ, à 14 km de Mylasa, la ville la plus proche. Bien que retiré, ce lieu sacré attire, à l'époque antique, des pèlerins venus de toute la Carie.
Entouré d’une forêt de platanes, le sanctuaire se limite à l’origine à une seule terrasse qui porte un autel et un petit temple orné de deux colonnes en façade. Il est probablement indépendant et géré par les prêtres qui y officient.
On suppose que vit alors, à proximité de ce sanctuaire, toute une petite communauté : les prêtres et leurs familles, les employés du temple, les esclaves, les ouvriers qui assurent l’entretien des édifices religieux et les agriculteurs qui cultivent les terres sacrées.
Le nom du sanctuaire est orthographié Labraunda, mais on peut trouver d'autres variantes comme Labranda ou Labraynda dans les sources anciennes et sur les inscriptions in situ. Ces diverses graphies sont dues à l’évolution du langage et de la prononciation à travers les siècles.
Évolutions du site
Lorsque les Hékatomnides sont placés à la tête de la satrapie nouvellement créée de Carie, ils entreprennent de réunir l’ensemble des communautés cariennes autour d’une identité commune. Ils décident alors de refonder un certain nombre de lieux de cultes modestes qui acquièrent une dimension nationale.
Mausole (377-352 av. J.-C.) puis son frère Idrieus (351-344 av. J.-C.) commandent de grands travaux de terrassement et la construction d'une série de bâtiments monumentaux. Ainsi, les Hékatomnides dotent le sanctuaire d’une architecture somptuaire et font de Labraunda le centre cultuel le plus important de la région.
Cependant, la fonction de Labraunda excède sa dimension religieuse. Grâce à son architecture majestueuse, le sanctuaire devient aussi un symbole du pouvoir hékatomnide.
Le « Sphinx de Labranda » figure parmi les plus beaux exemples de la riche ornementation du sanctuaire. Cette statue était placée à l’angle de la toiture de l’andrôn de Mausole et jouait le rôle d’acrotère (ornement). La représentation d’un sphinx mâle s’oppose aux représentations féminines du même type que l’on trouve généralement en Grèce. Ce sphinx entretient d'ailleurs une ressemblance troublante avec les représentations de Zeus. Le traitement de la barbe et des cheveux est clairement orientalisant (d'influence perse).
Si l’activité architecturale connaît un certain ralentissement après la disparition des Hékatomnides, vers la fin du IVe siècle av. J.-C., les recherches récentes prouvent qu’elle ne s’arrête jamais vraiment.
Labraunda reste au centre du dispositif politique et religieux carien au moins jusqu’à la fin de la période romaine, au IVe siècle ap. J.-C. À cette époque, pas moins de trois complexes balnéaires sont en effet construits. La transition religieuse au début de la période byzantine y est aussi fortement marquée, avec la construction de deux églises autour des Ve et VIe siècles ap. J.-C.
Le site ne sera abandonné qu’au XIIIe siècle avant d’être redécouvert au XIXe siècle par les voyageurs européens.

Jesper Blid, 2014, Aquarelle, Swedish Research Institute in Istanbul, tous droits réservés.
Vue d’artiste, inspirée de plusieurs hypothèses de travail. Elle présente une projection de l’apparence du site de Labraunda vu depuis le sud, au cours du IVe siècle ap. J.-C..