Chapitre 4

Le Sanctuaire et l'eau

La plupart des textes anciens citant Labraunda évoquent la présence de bassins et de sources. Pline l’Ancien et Elien, notamment, rapportent l'existence de bassins où des anguilles parées de boucles d'oreilles et de colliers en or viendraient manger à la main. Cette particularité intrigante pourrait se rapporter à une forme d’oracle. Une chose est sûre : ces mentions témoignent de l’importance de l’élément aquatique dans le sanctuaire, et probablement du faste de celui-ci.

Ces témoignages ont donné naissance à une hypothèse, non confirmée, selon laquelle Labraunda pouvait être un sanctuaire des eaux sacrées. Le rocher qui surplombe le site abrite en effet lui-même une fontaine autour de laquelle le sanctuaire semble s’être développé. On trouve en outre plus de quarante sources aux alentours du sanctuaire, notamment le long de la voie sacrée qui reliait Mylasa à Labraunda. Elles permettaient aux voyageurs et pèlerins de se rafraîchir le long de leur trajet et certaines de ces fontaines sont encore aujourd’hui en usage, l’eau de Labraunda étant réputée pour ses vertus curatives.

Les fontaines monumentales du sanctuaire

L'omniprésence de l'eau a également été mise à profit dans le programme architectural des Hékatomnides. Le sanctuaire de Labraunda compte en effet quatre fontaines monumentales, de trois types différents : une fontaine dite dorique, deux fontaines à colonnade, et une fontaine dite hypostyle, une structure unique dans le monde antique.

La fontaine dorique

Située à l'entrée du sanctuaire, la fontaine dorique est un petit bâtiment en marbre de forme carrée qui compte quatre colonnes doriques en façade. Sa construction remonterait au projet de monumentalisation du sanctuaire mené par les Hékatomnides : la dédicace à Zeus Labraundos inscrite sur l'architrave mentionne en effet Idrieus.

Remaniée à l’époque romaine, la fontaine est intégrée au complexe des bains Est. Un bassin occupe alors la moitié du bâtiment. Plus tard, en raison de sa proximité avec l’église Est, elle a peut-être servi de source d’eau pour les ablutions rituelles des chrétiens de l’époque byzantine.

La fontaine dorique
La fontaine dorique, Jesper Blid, 2015, Dessin, tous droits réservés.
Vue restituée de la façade du bâtiment dorique.

La fontaine centrale à colonnade

La fontaine centrale monumentale
La fontaine centrale monumentale, Olivier Henry, 2016, tous droits réservés.

Encastrée dans un mur de terrasse soutenant le temple de Zeus, la fontaine centrale à colonnade présente trois colonnes basses, en gneiss, couronnées de chapiteaux doriques simples en marbre. Entre les colonnes se trouve une barrière basse qui protège le bassin. Les murs de soutènement du bassin ayant été construits selon les techniques en vigueur au IVe siècle av. J.-C., la fontaine fait probablement aussi partie du programme architectural des Hékatomnides.

La fontaine hypostyle

Au sud-est du sanctuaire délimité par le mur de temenos, donc en retrait de la zone sacrée, se trouve un bâtiment longtemps resté énigmatique.

Lors de sa découverte et jusqu'aux fouilles, l’édifice en ruines présente trois rangées de colonnes en gneiss qui émergent d’un enchevêtrement de blocs où on peut distinguer des architraves, des frises et des chapiteaux doriques.

La construction évoque la forme d’un bassin et semble faire écho aux témoignages de Pline et d’Elien sur la présence de bassins à anguilles parées d’or à Labraunda.

La fontaine hypostyle avant les fouilles
La fontaine hypostyle avant les fouilles, Ali Konyali, 2009, tous droits réservés

Les fouilles, entamées en 2013, ont permis de préciser la fonction et la datation de la mystérieuse structure.

Il s’agit bien d’une fontaine monumentale, qui abritait un bassin de vastes dimensions, traversé d’une rangée de colonnes. Sa construction remonte à la fin du IVsiècle av. J.-C., probablement à l'initiative de la dynastie hékatomnide.

Schéma de la fontaine hypostyle
Schéma de la fontaine hypostyle, Brown University Labraunda Project, 2016, tous droits réservés.

Les bains de l'époque romaine

La période romaine se caractérise à Labraunda par l’installation de plusieurs complexes balnéaires, favorisée par l’abondance d’eau. À ce jour, on ne compte pas moins de trois bains différents, construits à l’époque impériale, entre le milieu du Ier siècle ap. J.-C. et le IVe siècle ap. J. -C.

À cette époque, les constructions thermales se multiplient à travers l’Empire, qu’elles soient de dimensions monumentales ou plus modestes. Elles peuvent être privées ou publiques, offertes par un riche commanditaire à l’usage du peuple, selon la pratique de l'évergétisme.

Si la création de ces bains a entièrement transformé la physionomie du sanctuaire, l’implantation de ces nouveaux bâtiments s’est néanmoins effectuée dans le respect scrupuleux des constructions plus anciennes, s’intégrant parfaitement au plan dessiné au IVe siècle av. J.-C.

Bains Est

Les Bains Est
Les Bains Est, Olivier Henry, 2016, Photographie aérienne par drone, tous droits réservés.
Jusqu’ici trois pièces chaudes ont été mises au jour, ainsi que leur foyer de chauffage, le praefurnium (en bas à droite).

Le plus ancien complexe thermal de Labraunda est public. Au milieu du Ier siècle ap. J.-C., Claudius Menelaus dédie « aux Augustes, à Zeus Labraundos et au Peuple » la construction d’un établissement balnéaire.

Le complexe se compose d'un tepidarium (salle tiède) et un caldarium (salle chaude) comprenant une piscine plaquée de marbre, des espaces de circulation et une chaufferie, le praefurnium. Un système de sol suspendu et de parois creuses permet à l’air chauffé de se diffuser harmonieusement dans cet ensemble.

Bains à tétraconque

Les bains à tétraconque doivent leur nom à la forme particulière de la structure constituée de quatre absides en fer à cheval. La présence d’un hypocauste (système de chauffage du sol) indique qu’il s’agit de la partie chaude d’un complexe balnéaire datant de la fin de la période romaine. Ses dimensions modestes laissent supposer qu’il s'agit d’un établissement privé, dont l’étendue reste à découvrir.

Vers la fin du Ve siècle ou au début du VIe siècle, l’hypocauste est remblayé et le bâtiment réoccupé jusqu’au XIIe siècle. La fonction alors dévolue au bâtiment demeure inconnue mais pourrait avoir un rapport avec l’église Ouest, toute proche.

Bains Sud

Les bains Sud sont situés au contact de l’andrôn C. Bien qu’ils n’aient jamais été fouillés, le matériel récolté au cours de sondages ponctuels indique une période de construction autour du milieu du IIe siècle ap. J.-C. Il semble, par ailleurs, que l’état de conservation des vestiges soit exceptionnel avec plusieurs mètres d’élévation conservés sous terre.

D'après les vestiges visibles, les bains Sud forment l’ensemble architectural le plus imposant du site de Labraunda avec une surface de près de 1000 m2 !

Bains à tétraconque
Le Tétraconque, Ali Konyali, 2009, tous droits réservés.
Vue du système de chauffage par le sol dans le bâtiment tétraconque.
Les bains Sud
Les bains Sud, Olivier Henry, 2016, Photographie orthonormée, tous droits réservés.
Emplacement présumé (tracé en rouge) des bains Sud sur le site du sanctuaire.

Bibliographie

Ouvrages généralistes

F. Kuzucu & M. Ural (dir.), Mylasa Labraunda - Milas Çomakdağ, Istanbul, 2010.

L. Karlsson & S. Carlsson (dir.), Labraunda and Karia. Proceedings of the International Symposium Commemorating Sixty Years of Swedish Archaeological Work in Labraunda (Boreas 32).The Royal Swedish Academy of Letters History and Antiquities, Stockholm, nov. 20-21 2008), Uppsala 2011.

P. Hellström, A guide to the Karian Sanctuary of Zeus Labraundos, Istanbul 2007.

O. Henry, Tombes de Carie : architecture funéraire et culture carienne, VIe-IIe s. av. J.-C., PUR, 2009.

L. Karlsson, S. Carlsson & J. Blid Kullberg (dir.), Labrys : studies presented to Pontus Hellström [Boreas 35], Uppsala, 2014.

Publication web : le site de l'équipe d'archéologues de Labraunda, disponible en anglais, français et turc : www.labraunda.org.

 

Publications scientifiques

O. Henry & D. Aubriet, “Le territoire de Mylasa et le serment d’Olympichos : autour d’une nouvelle inscription découverte au sanctuaire de Zeus Labraundos en Carie”, CRAI 2015, II, 673-702.

P. Hellström, "The Andrones at Labraynda. Dining halls for Protohellenistic kings", Basileia. Die Paläste der Hellenistischen Könige (dir. W. Hoepfner & G. Brands), Mainz 1996, 164- 169.

L. Karlsson, "Thoughts about fortifications in Caria from Maussollos to Demetrios Poliorketes", in Fortifications et défense du territoire en Asie Mineure occidentale et méridionale. Table ronde CNRS, Istanbul 20-27 mai 1993 (Revue des Etudes anciennes 96, 1994), 141-153.

P. Liljenstolpe & P. Schmalensee, "The Roman stoa of Poleites at Labraynda. A report on its architecture", Opuscula Atheniensia 21, 1996, 125-148.

Série Excavations and research at Labraunda, volumes I-IV, Lund, Stockholm, Istambul, 1955-2016.

 

Sources anciennes

Hérodote, Histoire, trad. P.-H. Larcher, éd. Charpentier, Paris, 1855. [V.119-121]

Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre XXXII, trad. E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles lettres, Paris, 1966.  [XXXII.7]

Elien de Prénestre, La personnalité des animaux. Livres X à XVII et index, trad. A. Zucker, Postface de J.-C. Bailly, Les Belles lettres, 2002. [XII.30]

À propos

Cette exposition virtuelle a été conçue comme le prolongement de l’exposition photographique organisée à l'École normale supérieure du 26 octobre au 26 novembre 2015. 93 clichés photographiques réalisés par Ali Konyali mettaient en parallèle les vestiges antiques de Labraunda et l’habitat moderne et traditionnel des montagnes de la région du Comakdag, en Turquie. Il s’agissait de la version la plus étendue de cette exposition, montée plusieurs fois en Turquie et en Europe depuis 2010.

Le projet d’exposition virtuelle ici réalisé est complémentaire de cette approche visuelle, en accord avec les missions de PSL-Explore, site des ressources et savoirs de l’Université Paris Sciences et Lettres. Cette exposition propose ainsi une double approche : c’est à la fois le contexte historique et le travail archéologique qui est mis en avant, afin de présenter un état de la recherche et des connaissances sur Labraunda.

En accord avec cette mission de valorisation du savoir en cours de constitution, cette exposition propose donc d’épouser l’approche transversale qui est actuellement celle des chercheurs, via des grandes thématiques qui peuvent être suivies comme des parcours indépendants.

Pour s’adresser à tous les publics de PSL, des novices aux spécialistes du domaines, l'exposition peut être abordée à trois niveaux. Le plan interactif et la chronologie permettent une approche en un coup d’œil, qui peut être approfondie en parcourant les rubriques thématiques, tandis que les images qui s’ouvrent en visionneuse permettent aux publics intéressés de s’approcher au plus près des vestiges et des détails techniques.

 

Crédits de l’exposition virtuelle

Commissariat : Olivier Henry

Photographies : Ali Konyali, Olivier Henry, Pontus Hellström, Mission suédoise de Labraunda

Rédaction et réalisation : Élisa Thomas

Coordination éditoriale : Annael Le Poullennec

Avec l’aide de la Directrice et de l’équipe des Ressources et Savoirs de PSL.

 

Remerciements

Le Laboratoire Archéologie d’Orient et d’Occident (AOROC, CNRS-UMR 8546) et son directeur, Stéphane Verger

Jean-François Perouse, directeur de l’IFEA

Martin Godon, pensionnaire scientifique en charge de l’archéologie à l’IFEA

Hélène Chaudoreille, directrice des Ressources et savoirs de PSL

Véronique Prouvost, directrice de la Communication de l’ENS

Pontus Hellström, Professeur émérite, Université d’Uppsala

Ministère Français des Affaires Etrangères et du Développement International

Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA, CNRS-USR 3131)

Ministère Turc de la Culture et du Tourisme

Service de la Culture et de l’Information de l’Ambassade de Turquie

Guillaume Gorgé, imprimerie Mély-Melloni (27, rue Monge 75005 Paris)

Images reproduites avec l’aimable autorisation du British Museum (British Museum Images), wildwinds.com et Gemini III auction (Harlan J Berk and Freeman & Sear).