Chapitre 1

Jeunesse et formation

Des origines modestes

Paul Langevin naît le 23 janvier 1872 à Montmartre, dans une famille républicaine et ouvrière, peu après les événements tragiques de la Commune. Son père est artisan, sa mère, institutrice.

bateau lavoir
La maison natale de Paul Langevin, 13 rue Ravignan à Montmartre. Deux décennies plus tard, la bâtisse, vétuste, accueillera des ateliers d’artistes. Refuge de l’avant-garde artistique du début du XXe siècle (Apollinaire, Braque, Picasso...), elle deviendra célèbre sous le nom de Bateau-Lavoir.

Il se révèle vite un élève brillant et, bien que son origine modeste lui interdise l’accès à l’enseignement secondaire classique, encore payant à cette époque, il réussit son parcours dans l’enseignement primaire supérieur, une filière permettant aux meilleurs éléments des classes populaires d’approfondir leurs études au-delà de l’instruction obligatoire.

En 1888, à l’âge de 16 ans, il peut ainsi préparer, à l’Ecole Primaire Supérieure Lavoisier, le concours d’entrée d’une nouvelle école ouverte aux candidats des milieux modestes, l’École Municipale de Physique et de Chimie Industrielles de Paris (aujourd’hui ESPCI – PSL). Il réussit le concours en se classant premier.

L’École Municipale de Physique et de Chimie Industrielles

Fondée en 1882 afin de rattraper le retard français en matière d’innovation industrielle, l’École Municipale de Physique et de Chimie Industrielles de Paris a pour objectif de former de futurs ingénieurs notamment dans les domaines de la chimie et de l’électricité. A la différence de l’enseignement purement théorique dispensé dans la filière classique, le programme, en 3 ans, privilégie les sciences dans leur rapport avec l’industrie et accorde une place importante aux travaux pratiques.

Langevin à l'EMPCI
Promotion de l'EMPCI 1888, Paul Langevin, debout, est le deuxième en partant de la gauche

Quand Langevin intègre l’école, 6 ans après sa création, l’EMPCI ne compte alors que deux professeurs en mathématiques, trois en chimie et trois autres en physique. L’enseignement pratique et les expérimentations sont encadrés par des préparateurs et des chefs de travaux, parmi lesquels un certain Pierre Curie, 29 ans, qui lui fait forte impression.

L’EMPCI a mis à la disposition de Pierre Curie, jeune chercheur déjà reconnu, un laboratoire où il peut conduire ses expériences, en marge de ses cours. Vers 1890, il y poursuit ses travaux sur le magnétisme et la piézoélectricité, découverte avec son frère Jacques Curie dix ans plus tôt.

Jacques et Pierre Curie
Jacques et Pierre Curie

Cette propriété, encore méconnue mais prometteuse, permet en effet à certains cristaux comme le quartz d’émettre des petites quantités d’électricité sous une contrainte mécanique et de se déformer lorsqu’on leur applique un champ électrique. L’exemple de Pierre Curie, professeur bienveillant et chercheur enthousiaste, marque profondément Langevin en lui donnant à la fois le goût pour ce qu’il appelle la « création scientifique » et les prémices de ses futures recherches.

La « taupe » et le latin : l’Ecole normale supérieure

Sorti de l’EMPCI en 1891, major de sa promotion, Paul aimerait prolonger ses études et s’orienter vers la recherche et l’enseignement. Sur les conseils de l’un de ses professeurs, il décide de tenter le concours de l’Ecole normale supérieure (ENS), voie royale vers une carrière académique. Il n’a cependant pas reçu de formation classique et doit s’entraîner intensivement pour rattraper son retard en latin et en « taupin », le programme de base des classes préparatoires scientifiques. En parallèle, il suit à la faculté de Paris les cours de physique et mathématiques d’Henri Poincaré.

Langevin à sa fenêtre de l'ENS
Paul Langevin à la fenêtre de sa mansarde à l'Ecole normale supérieure, vers 1894
Paul Langevin, ENS, 1896
Paul Langevin (assis au centre du premier rang) et sa promotion à l'ENS en 1896

<p>Là encore, il réussit brillamment le concours de l’école de la rue d’Ulm. De 1894 à 1897, il y suit les cours d’Eleuthère Mascart, Marcel Brillouin et Henri Poincaré, les plus grands physiciens et mathématiciens français de l’époque, et se lie avec de nombreux camarades normaliens, scientifiques et littéraires, qu’il croisera ensuite régulièrement au cours de sa carrière ou dans ses futurs engagements sociaux et politiques.</p>

Cambridge

Dans les années où Langevin étudie et se forme, le monde de la science connait une agitation sans précédent. L’ensemble de la physique repose alors sur trois piliers majeurs : la mécanique de Galilée et Newton, considérée comme bien établie, l’électromagnétisme qui unifie les phénomènes d’électricité et de magnétisme grâce aux travaux de Faraday et Maxwell entre 1820 et 1870, et la toute jeune thermodynamique, notamment formalisée par Carnot et Boltzmann. Or, les récentes observations et découvertes en électromagnétisme et en thermodynamique viennent contredire certaines des lois traditionnelles de la physique newtonienne. L’étude du rayonnement, en particulier, donne lieu à des hypothèses vivement débattues sur la nature et la structure de la matière.

A la sortie de l’ENS, Paul Langevin passe son agrégation de physique et décroche une bourse de la Ville de Paris pour effectuer un stage de recherche au Cavendish Laboratory à Cambridge. Dans ce laboratoire novateur, à la pointe de la physique expérimentale, s’élabore une physique nouvelle, celle de l’électron et de l’atome. Encore très discutée en physique, la théorie atomiste considère l’atome non plus comme l’ultime composant de la matière mais bien comme un corps lui-même composé d’autres corpuscules dont la structure, le comportement et les interactions restent à établir. En 1897, le directeur du laboratoire, le physicien britannique Joseph John Thomson (1856-1940), est sur le point de prouver expérimentalement l’existence de l’électron à travers ses recherches sur les rayons cathodiques.

Paul Langevin à Cambridge
Paul Langevin à Cambridge, vers 1897

Paul Langevin place lui aussi la physique de l’électron et l’étude des rapports entre matière et rayonnement au cœur de ses préoccupations scientifiques. Il participe aux travaux de Thomson et entreprend dans son sillage des recherches sur la conductivité électrique et le comportement des gaz ionisés sous l’effet des rayons X, un type de rayonnement électromagnétique tout juste découvert par Wilhelm Röntgen en 1895.

Il passe un an à Cambridge et se lie d’amitié avec d’autres jeunes chercheurs intéressés par les mêmes sujets comme Ernest Rutherford, Charles Thomson Rees Wilson et John Townsend, de futurs grands noms de la nouvelle physique.

Paul Langevin, Cavendish Laboratory
Paul Langevin photographié à Cambridge, assis à côté de J. J. Thomson (quatrième en partant de la gauche). Derrière eux, debout, E. Rutherford (quatrième en partant de la gauche)

Bibliographie

Ouvrages et articles

  • BENSAUDE-VINCENT Bernadette, Langevin. Science et Vigilance. Paris : Belin, 1987.
  • Bensaude-Vincent Bernadette, Blondel Christine, Monnerie Monique. « Les archives de Paul Langevin à l'École supérieure de physique et de chimie industrielles ». In : La Gazette des archives, n°145, 1989. Les archives scientifiques (communications présentées à la journée d’études organisée par le Centre de recherche en histoire des sciences et des techniques de la Cité des sciences et de l’industrie, Paris, La Villette, 25 février 1988) pp. 150-153. DOI : https://doi.org/10.3406/gazar.1989.4133
  • Bok Julien, Kounelis Catherine, Paul Langevin (1872-1946) - De la butte Montmartre au Panthéon : parcours d’un physicien d’exception, Reflets de la Physique, n°1 (2006), 14-16
  • Bustamante Martha-Cecilia, Kounelis Catherine, La physique de Paul Langevin. Un savoir partagé. Catalogue de l’exposition ESPCI. Paris : Somogy, 2005
  • Bustamante Martha-Cecilia, « Rayonnement et quanta en France, 1900-1914 », in : Physics, vol. 39, 2002, pp. 63-107.
  • [Collectif], « Paul Langevin, son œuvre et sa pensée. Science et engagement », Epistémologiques, vol. 2 (1-2), janvier-juin 2022. Paris / Sao Paulo, EDP Sciences, 2002
  • Gutierrez Laurent, Kounelis Catherine, Paul Langevin et la réforme de l’enseignement, Presses Universitaires de Grenoble, 2010
  • Langevin, André (1901-1977), Paul Langevin, mon père : l'homme et l'œuvre. Paris : Les Éditeurs français réunis / impr. 1971
  • Langevin André, Duck Francis (traduction), Paul Langevin, my father. The man and his work, EDP Sciences, 2022
  • Paty, Michel, « Paul Langevin (1872-1946), La relativité et les quanta ». In : Bulletin de la Société Française de Physique, 1999, p. 15-20. https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00181587/
  • Paty, Michel, « [Einstein] 1905, l’année admirable ». In : Pour la science, 2004, p.26-33. https://shs.hal.science/halshs-00177342

Bibliothèque numérique de PSL

Le fonds Langevin conservé à L’ESPCI contient de nombreux hommages et témoignages sur la vie de Paul Langevin, à consulter directement en ligne :

A propos

Proposée par le service Documentation et Partage des savoirs de l’Université PSL, cette exposition virtuelle fait suite à la journée d’étude dédiée à Paul Langevin, organisée à l’ESPCI Paris – PSL le 10 novembre 2022 à l’occasion de son 150e anniversaire.

L’exposition virtuelle s’appuie sur les nombreuses ressources historiques conservées à l’ESPCI : le fonds iconographique de l’Ecole et le fonds d’archives Paul Langevin, consultable sur place et via la bibliothèque numérique de PSL. Elle reprend notamment une partie du parcours et des ressources de l’exposition physique présentée en 2005 dans la bibliothèque de l’ESPCI Paris – PSL, La physique de Paul Langevin. Un savoir partagé, organisée par Catherine Kounelis et Martha Cecilia Bustamante.

Crédits :

Les contenus textuels et les reproductions numériques des documents présentés dans cette exposition sont couverts par des droits de diffusion. Contactez la bibliothèque de l’ESPCI pour toute utilisation ou diffusion hors de la sphère privée. : crh@espci.fr

Réalisation de l'exposition virtuelle :

Elisa Thomas, service Documentation et Partage des savoirs, Université PSL

Remerciements :

Olivier Dauchot, Catherine Kounelis, Kévin Lamothe, Anne-Marie Turcan, Philippe Verkerk

Centre des Ressources historiques de l’ESPCI - PSL

L’équipe du service Documentation et Partage des savoirs, Université PSL