Chapitre 3

Travaux et découvertes

Premières recherches

Sa carrière institutionnelle bien amorcée, Langevin continue ses travaux scientifiques. Dans un premier temps, il prolonge ses recherches sur les gaz ionisés en s’attaquant à l’étude des ions atmosphériques et installe ses expériences au sommet de la tour Eiffel en 1904. S’intéressant au mode d’évaporation des gouttelettes d’eau, il identifie deux catégories d’ions bien différents, en démontre les propriétés thermodynamiques et calcule leur conductivité électrique grâce à un électromètre de son invention.

Les années qui suivent comptent parmi les plus productives dans la carrière scientifique de Langevin. Portant son attention sur de nombreux sujets, divers en apparence, il s’efforce de combiner diverses approches théoriques, notamment par des formalisations mathématiques qu’il maîtrise parfaitement, afin de résoudre les contradictions entre la mécanique classique et les phénomènes encore incompris observés en électromagnétisme et thermodynamique.

Il a notamment recours à la théorie cinétique des gaz et à la physique statistique qui visent à expliquer les comportements des systèmes macroscopiques à partir des propriétés de leurs constituants microscopiques, particules, atomes, ions ou électrons.

Sur le magnétisme

La théorie que Langevin propose en 1905, Sur le magnétisme, s’inscrit directement dans les pas de son maître, Pierre Curie, et constitue un apport majeur à la physique classique.

En 1895, Pierre Curie a mis au point une instrumentation ingénieuse permettant de mesurer quantitativement l’évolution de l’aimantation d’un matériau en fonction de la température. Ces travaux lui ont permis de montrer la continuité entre matériaux ferromagnétiques, à l’aimantation forte à l’état naturel (fer, nickel…), et les matériaux paramagnétiques, dont l’aimantation faible est induite par un champ magnétique.

D’après les mesures prises lors des changements d’état en fonction de la température, il établit une loi expérimentale, selon laquelle la faculté d’un matériau paramagnétique à s’aimanter sous l’action d’un champ magnétique est inversement proportionnelle à la température (Loi de Curie).

Langevin aborde ce phénomène par une approche microscopique en s’appuyant à la fois sur le modèle de l’électron proposé par H. A. Lorentz et sur les équations de physique statistique, en particulier la théorie cinétique de J. C. Maxwell et de L. Boltzmann. Il introduit l'idée selon laquelle le moment magnétique d'un corps peut être la somme des moments magnétiques de chaque atome de ce corps.

Représentation du paramagnétisme
Le paramagnétisme. Schéma extrait d'un fascicule explicatif du Palais de la Découverte (vers 1935)

L’agitation thermique, qui augmente en fonction de la température, entraîne une désorientation des moments magnétiques des atomes, malgré l'influence du champ magnétique extérieur. Il en déduit ainsi une fonction mathématique, la « fonction de Langevin  », permettant de calculer la loi de Curie et de lui donner son assise théorique.

Sur le mystérieux mouvement brownien

Mouvement brownien

On appelle mouvement brownien le mouvement spontané, erratique et incessant de petites particules en suspension dans un liquide au repos. Observé à partir de grains de pollen par le botaniste Robert Brown en 1827, qui exclut une manifestation d’origine biologique, le phénomène intrigue les physiciens. Certains d’entre eux pressentent en effet que ce mouvement des particules pourrait venir de l’agitation moléculaire dans le liquide.

(Particules animées d'un mouvement brownien. Source : Brownian motion of 350 nm polymer nanoparticles; crédit : Yasrena, Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International)

En 1905, Albert Einstein en vient lui aussi à s’intéresser au mouvement brownien et l’explique par la collision perpétuelle des particules observées avec des particules plus petites du milieu porteur. A partir de ce phénomène, il propose une formule permettant de prédire le nombre d’Avogadro, soit le nombre d'entités élémentaires (atomes, molécules, ou ions en général) qui se trouvent dans une mole (ou molécule-gramme) de matière.

A la suite de cet article, Paul Langevin et Jean Perrin se penchent à leur tour sur le phénomène. Alors que Perrin s’attèle à démontrer la théorie d’Einstein de manière expérimentale, Langevin l’aborde sur le plan théorique. Par un processus habile empruntant à la mécanique statistique et à la loi des probabilités, Langevin parvient à établir l’équation de l’énergie moyenne, et à confirmer l’équation d’Einstein : en moyenne, le carré des déplacements est proportionnel au temps écoulé. L’équation de Langevin est la première équation différentielle stochastique : une équation différentielle dont un terme est aléatoire. Elle est toujours d’une grande utilité dans de nombreux domaines d’application, notamment celui de la matière molle.

Quant aux travaux de Perrin, ils lui permettent en 1908 de mesurer par voie expérimentale le nombre d’Avogadro. Son livre, Les Atomes, publié en 1913, qui montre la grande concordance des résultats de détermination du nombre d’Avogadro obtenus par treize méthodes différentes, est considéré comme ayant définitivement apporté la preuve de la structure atomique de la matière.

Le scientifique et l’ingénieur

C’est paradoxalement la guerre qui donne l’occasion à Langevin, pacifiste convaincu, de revenir vers les sciences appliquées et démontrer toute son ingéniosité dans ce domaine.

Pour les scientifiques de la génération de Langevin, rêvant d’une science universelle, progressiste et partagée par tous, le déclenchement de la Première Guerre Mondiale représente un véritable traumatisme. La Science prend part à la guerre et n’échappe pas aux excès nationalistes et xénophobes du reste de la société. Sans tomber dans aucune dérive haineuse, les membres du petit groupe de Sorbonne-Plage s'engagent à leur manière : Marie Curie déploie ses unités mobiles de radiologie le long de la ligne de front, Jean Perrin et Emile Borel dirigent le Cabinet technique de la « Direction des Inventions intéressant la défense nationale », mise en place en 1915 par le mathématicien Paul Painlevé, devenu ministre de l’Instruction publique et des Inventions.

Affecté lui aussi au Bureau des Inventions, Paul Langevin se mue en ingénieur militaire, tout d’abord en tant qu’expert balistique. Les ravages opérés par les submersibles allemands dans l’Atlantique le poussent rapidement à s’intéresser à l’acoustique sous-marine afin de trouver une méthode de localisation des fameux U-boots.

Paul Langevin dans la rade de Toulon
Paul Langevin dans la rade de Toulon, vers 1917
Laissez-passer de Paul Langevin, 1917
Laissez-passer de Paul Langevin, 1917

Au fil d’essais menés progressivement dans la Seine puis dans les rades de Brest et de Toulon, il cherche à élaborer un système d’écho-détection performant. Reprenant les travaux des frères Curie sur la piézoélectricité, il a l’idée d’utiliser les propriétés électriques du quartz pour capter les ondes ultra-sonores.

En 1917 et 1918, les essais se révélant vraiment concluants, il est invité à partager ses travaux lors de conférences interalliées en Angleterre. L’invention hautement stratégique du sonar intéresse en effet beaucoup Anglais, Américains et Italiens qui ont tous développé des programmes de recherche similaires en détection sous-marine.

Après la guerre, Paul Langevin continue ses recherches sur les ultrasons et perfectionne ses appareils. Les brevets qu’il dépose sur ses appareils de détection par sonar (sondeur et émetteur) lui apportent de bons revenus mais l’entraînent dans de longues batailles juridiques. Parmi les anciens alliés, certains sont devenus des concurrents et contestent la primauté de ses inventions. Paul Langevin se révèle un industriel habile et défend âprement sa cause, avec l’aide d’un ingénieur-conseil en propriété scientifique. Son ancien collègue du Cavendish Laboratory, E. Rutherford, qui, pendant la guerre, a conduit des recherches en parallèle pour l’Angleterre, défend toutefois son concurrent auprès de l’Amirauté britannique, en reconnaissant que les travaux du Français restent pionniers et décisifs dans le développement de la technologie du sonar.

Schéma du sonar
Vue schématique d'un sondeur ultra-sonore, procédés Langevin-Chilowski. Système Langevin-Florisson

Progrès scientifique fondamental, la technologie ingénieuse du sonar trouve tout au long du siècle de nombreuses applications civiles, dont l’échographie dans la sphère médicale notamment, et représente aujourd’hui un champ de recherche toujours actif et porteur d’innovations. 

Bibliographie

Ouvrages et articles

  • BENSAUDE-VINCENT Bernadette, Langevin. Science et Vigilance. Paris : Belin, 1987.
  • Bensaude-Vincent Bernadette, Blondel Christine, Monnerie Monique. « Les archives de Paul Langevin à l'École supérieure de physique et de chimie industrielles ». In : La Gazette des archives, n°145, 1989. Les archives scientifiques (communications présentées à la journée d’études organisée par le Centre de recherche en histoire des sciences et des techniques de la Cité des sciences et de l’industrie, Paris, La Villette, 25 février 1988) pp. 150-153. DOI : https://doi.org/10.3406/gazar.1989.4133
  • Bok Julien, Kounelis Catherine, Paul Langevin (1872-1946) - De la butte Montmartre au Panthéon : parcours d’un physicien d’exception, Reflets de la Physique, n°1 (2006), 14-16
  • Bustamante Martha-Cecilia, Kounelis Catherine, La physique de Paul Langevin. Un savoir partagé. Catalogue de l’exposition ESPCI. Paris : Somogy, 2005
  • Bustamante Martha-Cecilia, « Rayonnement et quanta en France, 1900-1914 », in : Physics, vol. 39, 2002, pp. 63-107.
  • [Collectif], « Paul Langevin, son œuvre et sa pensée. Science et engagement », Epistémologiques, vol. 2 (1-2), janvier-juin 2022. Paris / Sao Paulo, EDP Sciences, 2002
  • Gutierrez Laurent, Kounelis Catherine, Paul Langevin et la réforme de l’enseignement, Presses Universitaires de Grenoble, 2010
  • Langevin, André (1901-1977), Paul Langevin, mon père : l'homme et l'œuvre. Paris : Les Éditeurs français réunis / impr. 1971
  • Langevin André, Duck Francis (traduction), Paul Langevin, my father. The man and his work, EDP Sciences, 2022
  • Paty, Michel, « Paul Langevin (1872-1946), La relativité et les quanta ». In : Bulletin de la Société Française de Physique, 1999, p. 15-20. https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00181587/
  • Paty, Michel, « [Einstein] 1905, l’année admirable ». In : Pour la science, 2004, p.26-33. https://shs.hal.science/halshs-00177342

Bibliothèque numérique de PSL

Le fonds Langevin conservé à L’ESPCI contient de nombreux hommages et témoignages sur la vie de Paul Langevin, à consulter directement en ligne :

A propos

Proposée par le service Documentation et Partage des savoirs de l’Université PSL, cette exposition virtuelle fait suite à la journée d’étude dédiée à Paul Langevin, organisée à l’ESPCI Paris – PSL le 10 novembre 2022 à l’occasion de son 150e anniversaire.

L’exposition virtuelle s’appuie sur les nombreuses ressources historiques conservées à l’ESPCI : le fonds iconographique de l’Ecole et le fonds d’archives Paul Langevin, consultable sur place et via la bibliothèque numérique de PSL. Elle reprend notamment une partie du parcours et des ressources de l’exposition physique présentée en 2005 dans la bibliothèque de l’ESPCI Paris – PSL, La physique de Paul Langevin. Un savoir partagé, organisée par Catherine Kounelis et Martha Cecilia Bustamante.

Crédits :

Les contenus textuels et les reproductions numériques des documents présentés dans cette exposition sont couverts par des droits de diffusion. Contactez la bibliothèque de l’ESPCI pour toute utilisation ou diffusion hors de la sphère privée. : crh@espci.fr

Réalisation de l'exposition virtuelle :

Elisa Thomas, service Documentation et Partage des savoirs, Université PSL

Remerciements :

Olivier Dauchot, Catherine Kounelis, Kévin Lamothe, Anne-Marie Turcan, Philippe Verkerk

Centre des Ressources historiques de l’ESPCI - PSL

L’équipe du service Documentation et Partage des savoirs, Université PSL